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Kurt Masur s’amuse dans l’Ile aux enfants

, Aux frontières de nulle part

En voyant la programmation, on se demande d'emblée qu'elle sera l'unité de la soirée. Entre un Prokofiev qui choisit, par bravade, de composer une symphonie classique, un Matthus qui écrit pour une œuvre exprimant le chef allemand mieux que n'importe quelle interview, il y a déjà deux mondes musicaux. Mais ajouter encore à cet éclectisme, la finesse orientale de et la pompe magyare de Zoltan Kodaly, c'est une périlleuse gageure. Il n'y avait qu'un pour oser la risquer et la réussir, dans un équilibre à son image et à sa bonhomie. Car, au final, le fil rouge du concert ne fut autre que l'esprit même du chef. Un esprit rieur, un rien espiègle, que les solistes ont adopté de bonne grâce pour transformer cette soirée en un divertissement rafraîchissant, gai et bon enfant.

Les premières mesures de Prokofiev nous livrent immédiatement la signature de l'auteur. Même s'il s'est volontairement voulu classique, particulièrement dans la Gavotte où l'on perçoit Haydn, les vents sont typiquement de sa main. Dans ce mélange, classicisme et tradition russe s'entremêlent à tel point qu'on ne sait s'il faut jouer russe ou classique ! Il est dommage que la justesse des violons ait quelque peu terni leur jeu avec les flûtes dans le Larghetto. D'autant plus regrettable que l'équilibrage des instruments était d'une finesse rare. Chacun y avait et y trouvait sa place, sans être étouffé, sans devoir se battre pour exister. Les nuances, extrêmement vivantes et présentes, restaient toujours très contrôlées. Jamais elles ne sortaient d'une fourchette si fine qu'à elle seule elle conférait toute l'unité des œuvres. Toutefois, au regard du reste du concert cette première œuvre laisse l'impression d'avoir été négligée, tant les instruments s'enchaînent mal, pour conclure dans un final somme toute approximatif. Mais la fraîcheur et la jovialité qui ne feront que croître au long de la soirée n'en seront aucunement altérées, ouvrant ainsi la voix aux deux solistes du concerto for Two de Matthus. Composé pour les 75 ans de et sur mesure pour Philip Smith et Joseph Alessi, il est à regretter que Marc Bauer n'ait pas été à la hauteur de la partition, conçue pour être un duel entre les deux instruments. La finesse du jeu de Joël Vaïsse, écrase dès les premières notes son adversaire qui peine dans les aigus et n'apporte rien à ce qui aurait dû être une escalade de virtuosité. Finalement et au plus grand plaisir des auditeurs amusés, le duel se reporta sur le terrain de la fantaisie et de l'improvisation, conduisant le trombone à se transformer en trompette de cavalerie, à jouer le boléro sur embouchure, tandis que la trompette partait en train rejoindre le Capitaine Flam du trombone avant de se reposer avec Casimir dans l'Ile aux enfants, déclenchant l'hilarité de la salle conquise dans un long rappel qui fit oublier la crispation des timbales ou encore le manque de relief des petites percussions. Ce fut aussi l'occasion de mettre en valeur un très bon pupitre de cuivre, parfaitement homogène et équilibré.

C'était exactement ce qu'il fallait pour créer ce soir, le Concerto pour violon et orchestre de . Une première ovationnée en présence du compositeur. Plus sérieuse, la fraîcheur de l'œuvre ne dénota en aucune manière du reste guilleret de cette soirée. Il fallait en tout cas la subtilité libanaise de Bechara El-Khoury, pour, avec beaucoup de finesse et de délicatesse, harmoniser les dissonances. Comme à son habitude, Sara Nemtanu se tenait crispée et presque belliqueuse sur son violon, ce qui contribua à donner une rugosité mécanique à ce solo qui aurait dû être plus léger, plus mystérieux et plus profond. Création amplement réussie en tout cas pour une œuvre qui résume l'auteur lui-même « au de-là de nulle part ». Une œuvre d'actualité où s'articulent mystère, rêve, douleur et angoisse, comme pour résumer l'âme du déraciné, dans un monde en mouvement.

C'est au contraire très enraciné en Hongrie, mais aux prises avec le rêve et la mythomanie que Kodaly nous entraîne dans sa fantaisie, véritable feu d'artifice de percussions, de cuivre et de joie. Là-encore Kurt Masur, en maître qu'il est, fait d'un divertissement une grande œuvre symphonique, pour conclure dans un péplum moqueur par un fortissimo où pour la première fois, l'orchestre gagné par l'enthousiasme général sort de la nuance contenue sous la fougue de son chef encore sautillant à 79 ans.

Crédits photographiques : © DR

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