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De la musique de chambre à l’échelle d’un orchestre symphonique

Ne pas s'arrêter à la fâcheuse faute d'orthographe (« Guilini » au lieu de « Giulini ») figurant par trois fois sur la pochette et sur ce disque en hommage au grand chef d'orchestre italien mort il y a tout juste un an, le 14 juin 2005. Ne pas s'arrêter non plus sur le fait que la Symphonie de Haydn passe de do à sol majeur du recto au verso du boîtier : « ce sont des choses qui arrivent…» comme on dit, quand on veut être gentil. L'important, ce n'est pas l'objet-disque, c'est l'art de .

Giulini avait commencé en 1934 son parcours de musicien professionnel en tant qu'altiste du rang, il avait notamment joué sous la direction de Otto Klemperer et de Bruno Walter. En tant que chef d'orchestre, il avait arrêté sa carrière en 1998 après avoir fortement réduit ses activités dès 1982 pour veiller sur son épouse devenue invalide. Depuis Traviata avec Callas dans la mise en scène de Visconti à la Scala de Milan au printemps 1955, Giulini, non sans s'en plaindre car il était modeste, attirait les foules. Il en vint même à être décrit au début des années 80 dans une œuvre de Patrick Süskind – La Contrebasse – dirigeant un programme de fiction (Das Rheingold !). Personnage populaire, fuyant les honneurs qu'il méritait pourtant, Giulini aura été plus de soixante années, selon ses propres mots, « au service de la musique. »

Cet enregistrement remasterisé, qui fait suite à la sortie automnale de la Symphonie n°1 de Brahms sous le même label, date de 1979. Au programme, La « Surprise » de Haydn, une des symphonies de Londres composée en 1791, qui est du vivant du compositeur une de ses symphonies les plus jouées. Dès les premières notes du premier mouvement, la surprise est dans la richesse des nuances. La vision romantique de Giulini apporte aux phrases un legato, une respiration des phrasés et une pensée de la continuité du son qui mettent en évidence la pluralité des formules rythmiques et des dynamiques de la partition. Puis l'exploit du chef d'orchestre réside dans sa réussite à étendre à l'échelle de l'orchestre tout entier, un son et une gestion du jeu purement chambristes. Ainsi, tous les traits de cordes sont-ils très articulés main gauche, on remarque un son particulièrement ciselé pour dynamiser la nuance piano, les valeurs rapides sont clairement les moteurs des phrases. Le même esprit est à l'œuvre dans Ma Mère l'Oye, deuxième œuvre du disque. En cela, Giulini et Carlos Kleiber sont frères.

Chez Giulini interprétant Haydn, on admire aussi les suspensions-césures en fin de phrases, le temps fort pensé comme rebond du temps suivant, les tempi retenus et surtout les tempi tenus indépendamment des fluctuations de nuances, si opposées soient-elles (du pianissimo leggiero au double forte maestoso).

L'Andante est le mouvement qui illustre le titre « La Surprise » donné à la symphonie, également sous-titrée « avec le coup de timbale » en référence à celui qui ponctue violemment la fin de phrase du thème enfantin jouée pianissimo. Il est un témoignage du talent de Haydn orchestrateur : les surprises sont ici dans la façon dont l'harmonie reprend des phrases que commencent les cordes dans des nuances et une instrumentation exponentielles, pour jouer des antécédents débutant en anacrouse, pour exécuter des passages mineurs voulus forte scandé par le compositeur (alors que la tradition symphonique les rendait généralement plus doux). Comment ne pas être également surpris par cette superbe fin d'Andante, curieusement inquiétante, si bien mise en valeur par l'orchestre bavarois ?

Même si la version de Munch fait autorité, Les pièces enfantines de Ravel – datant de 1908, à l'origine pour piano quatre mains qui ont donné une suite de cinq morceaux transformée alors en ballet dans une version plus étoffée – gagnent, chez Giulini, en unité. Pour cette interprétation de Ma Mère l'Oye, on aimerait presque parler de lyrisme giulinien, lyrisme particulier qui consisterait à donner l'impression que le son ne s'arrête jamais, qu'il demeure en résonnance, qu'il garde en lui le souvenir d'une ambiance, d'un point de départ, et que, bien qu'il subisse une évolution, ce son nous revient nourri de nouveaux timbres. Ce lyrisme peuplé de réminiscences sonores convient à merveille à l'univers féerique ravélien.

L'œuvre, en elle-même, couronne Ravel agenceur des timbres et des interventions solistes mais aussi Ravel auditeur : celui qui a gardé quelque chose des phrases orientales de Puccini, des intonations de Pélléas et de la fougue d'un Richard Strauss.

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