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Emmanuel Pahud et Eric Le Sage, l’art de la complicité

La flûte n'a pas été gâtée au XIXe siècle. Malgré de splendides traits d'orchestre, aucune pièce majeure de musique de chambre ne lui a été dédiée, d'où cette manie de la transcription. Mais jouer une œuvre transcrite est un art dangereux, l'original ne peut s'effacer de l'oreille et de la mémoire de l'auditeur. Un art transcendé par nos deux comparses de la soirée, deux musiciens habitués à jouer ensemble depuis de longues années.

Eric Le Sage reste un pianiste discret, malgré une activité surabondante. Concertiste à ses heures perdues, il affectionne particulièrement l'accompagnement et la musique de chambre, surtout faite entre amis au Festival de l'Emperi dont il est un des fondateurs. au contraire est à l'heure actuelle un des rares flûtistes à mener une carrière de concertiste, après avoir été soliste dès l'age de 23 ans au Philharmonique de Berlin. La complicité de ces deux amis de longue date n'étant plus à prouver, la musique n'avait plus qu'à opérer de son charme dans la vaste salle du Châtelet.

Les Trois Romances de Schumann, à l'origine pour hautbois, supportent facilement la transcription. Les tessitures des deux instruments sont voisines, et tire de son instrument un médium et un grave sonores et cuivrés, aidé en cela par un piano toujours discret mais efficace.

L'écriture pianistique chez Brahms est toujours très massive, même dans sa musique de chambre. Eric Le Sage tente d'alléger au mieux sa partie, au détriment d'un jeu parfois trop sec mais qui a pour avantage de ne jamais prendre le dessus. Quant à la partie de flûte ? Que dire … L'auteur de ces lignes, clarinettiste de formation, a beau se révolter de voir un des monuments de son instrument transposé à la flûte (les Sonates op. 120 sont pour clarinette), son esprit critique – après tout il va au concert pour ça – tente vainement de dépister un quelconque défaut dû à cette adaptation… En vain ! De subtils sauts d'octaves, alliés à la sonorité sombre d' rendent parfaitement le jeu velouté du registre du chalumeau (NDLR : registre grave de la clarinette).

Avec Poulenc nos deux musiciens sont en terrain connu et conquis, comme en témoigne l'intégrale de la musique de chambre de ce compositeur parue chez RCA en 1999. Des tempi virevoltants – même dans la Cantilène centrale, une palette sonore en constants changements, tout est rassemblé pour une interprétation d'anthologie. Quant à la Sonate de Franck, sa transcription à la flûte est connue de longue date par l'interprétation qu'en fit James Galway. Si la partie de piano est presque « symphonique », Eric Le Sage témoigne d'une aisance bien supérieure au Brahms de la première partie, toujours en restant à égalité avec la flûte d'Emmanuel Pahud.

A l'origine Hélène Grimaud devait tenir la partie de piano, mais elle a dû annuler l'ensemble de ses prestations pour raisons de santé. S'il nous serait bien impossible d'imaginer sa prestation, à n'en pas douter son remplacement par Eric Le Sage n'a certainement pas lésé le public, gratifié de trois rappels successifs des interprètes.

Crédit photographique : © Philharmonisches Kammerorchester Berlin

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