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Leonard Bernstein aux portes de l’éternité

Petite ville du nord de la Bavière, Waldsassen dont les origines remontent au XIIe siècle, avait pour particularité en 1990 d'être exactement au centre géographique de l'Europe ; elle possède l'une des plus belles basiliques baroques d'Allemagne, et c'est dans ce cadre magnifique, à quelques kilomètres à peine de la frontière tchèque, que donna symboliquement, à quelques mois de sa mort survenue le 14 octobre 1990, cette merveilleuse Grande Messe en ut mineur K. 427 de Mozart, qu'il n'avait jamais enregistré auparavant. Et là réside un témoignage émouvant de l'immense musicien américain : dans la nuit du jeudi 9 au vendredi 10 novembre 1989, le Mur de Berlin – ce Mur de la honte – tombait, et en introduction à son concert d'avril 1990, Bernstein l'humaniste se lance dans un plaidoyer exalté et poignant en faveur de la paix, dénonçant les absurdités de la guerre : « … Ici, à Waldsassen, on réalise soudain à quel point les guerres sont démodées, combien il est inutile et indigne qu'il y ait un vainqueur à la fin. Un conquérant a succédé à l'autre. Mais combien de civils assassinés pour un seul conquérant ? Ici, au cœur de l'Europe centrale, on en vient vite à la conclusion que les guerres ne sont qu'un prétexte pour satisfaire l'appétit de pouvoir, au détriment des autres. La guerre, tout le monde le dit, c'est l'enfer ! » Seize années plus tard, tristement, ce message est toujours terriblement d'actualité… Finalement, nous confie encore : « C'est ici et maintenant qu'il faut jouer Mozart, pour qu'il nous conforte, nous bénisse et nous aide enfin à obtenir la paix sur la terre. »

Autre moment poignant, le concert lui-même où le chef d'orchestre – engoncé dans son habit et respirant difficilement car déjà atteint par la maladie qui le terrassera quelques mois plus tard – parvient à partir d'un Kyrie relativement lent, à transcender cette Grande Messe en pleine lumière et lui donner toute sa signification. Devant une telle interprétation, magnifiée par les circonstances et tous les participants – Arleen Auger et y sont divines ! – inutile de s'interroger sur une quelconque exécution « à la baroque » ou non, ce qui n'a aucun sens en l'occurrence : les états de grâce n'ont que faire de ces questions souvent étrangères à la musique à l'état pur telle qu'elle nous est offerte ici et qui remplit totalement son rôle humaniste. Précédée par un Ave Verum Corpus et un Exsultate, Jubilate tout aussi exceptionnels de ferveur et de transparence, formant ainsi un triptyque parfaitement équilibré, événement humaniste et spirituel tout autant qu'expérience artistique, la Grande Messe conclut en une apothéose se résolvant, sans applaudissements, en un silence uniquement troublé par le tintement éloigné des cloches de la basilique.

Pour les mélomanes ne désirant que la musique sans l'image – ce qui est dommage car la prise de vue est vraiment exceptionnelle – l'équivalent en CD audio de ce concert existe sous la référence 431791-2.

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