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Nikolai Lugansky pianote sans fin

et Academy 2006

Pour son concert, Nikolai Luganskyn'a pas choisi son programme parmi les pièces les plus populaires de Chopin et de Rachmaninov. Ainsi en est-il du Prélude en Ut dièse mineur ouvrant son concert, et de la Sonate n°3. Des œuvres ne figurant pas fréquemment à l'affiche des récitals de piano. Et pour cause. Sont-ce les œuvres ? Les interprètes ? Toujours est-il que le discours mélodique de Lugansky est bien long à s'installer. Même si comme subitement inspiré, il lance sa tête en arrière, fixant des yeux un impossible plafond, où va-t-il ? Que veut-il ? Exagérant sur la pédale, les rythmes indistincts, il donne l'impression désagréable d'un pianotage sans fin. Comme si le pianiste cherchait la ligne mélodique de l'œuvre. Cette absence de structure, cette déstructuration même, oblige l'auditeur à se demander comment Chopin avait été capable d'écrire une musique aussi peu attrayante. Si toutefois, on veut bien croire que tel n'est pas le cas, force est de constater qu'il faut une belle dose de virtuosité pour jouer une musique que rien n'attache à une quelconque ligne mélodique.

Lorsque débute la deuxième partie du récital du pianiste russe, l'étrangeté des sons et l'identique absence de mélodie donne à croire que le Russe reprend son récital avec les mêmes pièces qu'il avait jouées auparavant. Même pianotage, mêmes traits sans suite. Si ce n'était le martèlement d'accords graves et lugubres propres à l'esprit dépressif de Rachmaninov, on croirait assister à l'élaboration d'une nouvelle œuvre dont le pianiste improviserait des séquences à la recherche de celles qu'il garderait pour les inscrire entre les portées de sa partition. Et pourtant, le concert avance. Lentement. Trop lentement au goût de qui (comme votre serviteur) n'accroche pas à ce répertoire. Les visages se tournent, les têtes dodelinent un peu, les regards se portent vers l'examen des lieux. Vite une partie de l'assistance est gagnée par l'ennui. Devant l'évidente persistance de cette «immusicalité», bientôt l'énervement, puis l'exaspération envahit l'auditeur décontenancé par tant de verbiage. Tout au plus quelques époustouflantes mesures de virtuosité pianistique viennent sortir de la torpeur cette partie du public (dont je fais partie) qui ne connaît de Chopin que la mélodie de ses sublimes Nocturnes et de Rachmaninov, les accents désespérément lyriques de ses concertos.

Aux ultimes (et libératrices) notes du récital, le public des connaisseurs réserve un triomphe au pianiste dont l'incroyable virtuosité a certes de quoi émerveiller chacun mais dont l'expression musicale, la manière de raconter sa musique laisse plus d'un spectateur sur sa fin.

Généreux, offre quelques bis dont une brillantissime exécution de l'Etude No. 3 La Campanella de Liszt suivie d'un immensément beau choral Jésus que ma joie demeure de J. S. Bach qui porte le piano de Lugansky vers des couleurs mystiques d'exception qu'on aurait aimé entendre plus souvent au long de son récital.

Crédits photographiques : © ICM Talent

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