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Simon Rattle : Chostakovitch dépassionné ?

Le Label EMI célèbre Chostakovitch d'une curieuse manière. Alors qu'il vient de terminer l'inégale intégrale des symphonies par Mariss Jansons (dont le dernier volume publié au printemps comprend cette même Symphonie n°14), il édite un album bien étrange consacré au maître russe sous la baguette de son chef vedette .

Alors que la crise du disque bat son plein, surtout en matière de musique symphonique, EMI multiplie les témoignages du chef anglais et de son orchestre dans le grand répertoire. Cependant sur le fond, à l'exception d'une magnifique Symphonie n°5 de Mahler et d'un disque consacré à Claude Debussy, le commentateur reste sur sa fin. L'honnête (Vie de Héros de Richard Strauss) côtoie le fort décevant (Symphonie n°9 de Franz Schubert). Dans Chostakovitch, n'est pas un débutant. Il enregistra lors de son mandat à Birmingham, une Symphonie n°10 qui avait été fort bien accueillie à sa sortie, mais qu'une ré-audition contemporaine disqualifie pour ses intentions trop appuyées et une Symphonie n°4 de haute volée alors qu'il fréquente assidûment ces partitions au concert. Dès lors, on se demandait, avec curiosité, ce qu'allait donner sa confrontation avec deux des plus redoutables partitions du compositeur de Lady Macbeth de Mzensk.

Le résultat est plutôt mitigé. Certes l'orchestre est absolument splendide, et la battue de Rattle s'avère d'une précision redoutable, mais il manque à ce couplage aussi curieux qu'incohérent et étalé sur deux disques, un vécu et un drame. On est dans le domaine de l'interprétation de luxe, mais cela ne prend pas aux tripes. Le cas de la Symphonie n°14 est à ce titre révélateur. En dépit de la présence de deux immenses chanteurs en pleine forme, l'esprit n'est à aucun moment touché par l'interprétation. Même les passages enragés comme la « Malaguena » et la « Réponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople » paraissent froids et distancés. Certes, les textures sont d'une grande clarté alors que Rattle travaille l'équilibre polyphonique mais la tension n'est pas au rendez-vous. On restera donc fidèle aux disques de Rudolf Barshai (Brilliant), Dimitri Kitaenko (Capriccio), Ladislas Slovak dans son seul témoignage digne d'intérêt (Naxos), Gennady Rojdestvensky (Melodiya) et dans une optique analytique l'étonnant Mark Wiggleswoth (Bis).

La Symphonie n°1 est assez réussie : la conduite des thèmes et des transitions est excellente alors que l'orchestre est superlatif dans sa cohésion et la finesse de ses solistes. Mais, Rattle se plaît trop à limiter la partition à un brillant concerto pour orchestre. Il manque à cet enregistrement la hargne de Vladimir Jurowski (Pentatone) et le souffle épique de Dimitri Kitaenko pour ne parler que de deux enregistrements récents.

Un album avec des qualités mais qui dans une discographie surchargée émotionnellement ne peut guère s'imposer d'autant plus que ces prises de concert manquent de galbe et de précision.

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