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Don Carlos, drame déraisonnable, opéra de la démesure

Opéra français de par excellence et chef-d'œuvre dans le genre Grand Opéra, Don Carlos est une œuvre fascinante par bien des aspects. Il s'agit ici de la version originale de 1866, augmentée du ballet La Peregrina au troisième acte ; elle est sans doute celle qui correspondait le mieux aux idéaux du compositeur.

Quoi qu'on en ait pu dire, c'est assurément la version la plus intéressante et forcément la plus complète, voire la mieux équilibrée dramatiquement, – pensons au rétablissement du rôle de Posa – avant que la guillotine de la grande boutique décapite une œuvre protéiforme. Selon le Dictionnaire des Opéras de Clément et Larousse, Don Carlos est « d'un ennui mortel et n'offre au public que des impressions pénibles et désagréables ». Lors de la création de l'œuvre à Paris en 1867, pour souligner L'Exposition universelle, l'opéra ne connut pas un grand succès, on reprocha même au compositeur de donner dans le style Meyerbeer afin de plaire au public parisien. Et Bizet taxa l'œuvre de wagnérienne ! Par la suite, Verdi lui-même révisa son opéra sans jamais parvenir à lui donner une forme définitive. On croyait ces coupures opérées par le compositeur, perdues à jamais. Il n'en est rien. Les passages manquants ont été rétablis pour le plus grand plaisir des mélomanes. Nous devons ce travail d'anachorète au musicologue Andrew Porter qui a eu l'audace et la bonne idée de retracer les pages manquantes. D'une certaine façon, l'histoire de Don Carlos rejoint les péripéties d'autres opéras, tels les Contes d'Hoffmann.

Soulignons d'emblée que la présentation se veut soignée, un livret, véritable document de recherche de près de trois cent cinquante pages, nous révèle tous les détails de la gestation de l'œuvre. Elle met en perspective la version originale de 1866 par rapport aux trois autres versions : celle de la création de 1867, la version de Milan (1884) et celle plus problématique, la version de Modène (1886) dont on ignore toujours si Verdi a participé à cet ultime remaniement. L'enregistrement de la BBC en format numérique rend l'écoute agréable. Le livret est en quatre langues et renvoie à l'historique des différentes versions. C'est un document somptueusement bien présenté, une invitation à la lecture tout autant qu'à l'écoute d'une œuvre exceptionnelle et unique que l'on ne représentera sans doute jamais dans son intégralité.

L'enregistrement réalisé en public est d'autant plus intéressant qu'il propose une distribution en grande partie francophone. Cinq québécois se partagent les rôles de Philippe II (), le Marquis de Posa (Robert Savoie), la Princesse Eboli (Édith Tremblay), le Comte de Lerme (Émile Belcourt) et le Don Carlos d'André Turp. Tous sont excellents dans leur rôle spécifique. Les chœurs de la sont honnêtes, chantent juste et la direction d'orchestre de John Matheson, sans être éblouissante, sait donner un certain relief à cette partition exigeante. Elle manque sans doute un peu de panache mais le chef d'orchestre mène ses troupes de façon honorable.

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