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Kondrashin et la musique française

Curieusement, alors que les chefs d’orchestres français fréquentent assidûment les partitions des compositeurs russes (il suffit de penser aux grandes réussites de Charles Munch, Jean Martinon, Pierre Monteux dans les symphonies de Tchaïkovski), la réciproque est assez rare. Certes, les chefs russes pratiquent les chefs d’œuvres incontournables, mais force est constater qu’à l’exception du grand Evgueni Svetlanov qui programma en première soviétique des pièces comme la Turangalîla-Symphonie de Messiaen et la Symphonie liturgique d’Honegger, et de l’incroyable touche à tout Guennadi Rojdestvenski, la francophilie des chefs d’orchestres russes n’est guère prononcée. Prématurément disparu après un concert amstellodamois, Kirill Kondrashin (1914-1981) témoigna, essentiellement en concert, d’une fascination pour Ravel et Debussy. On lui doit une superlative version de Daphnis et Chloé de Maurice Ravel à la tête de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam (furtivement éditée par Philips dans un coffret hommage) lors de son passage à la direction de l’ensemble juste après son exil en occident.

Enregistré entre 1963 et 1972, à la tête de la Philharmonie de Moscou qui était en fait un orchestre de jeunes, le grand chef d’orchestre livre des prestations exaltantes qui s’inscrivent au sommet de la discographie. Bien évidement, la phalange moscovite ne possède pas les sonorités translucides pour servir cette musique, mais sous sa direction, l’orchestre se pare de teintes rauques absolument fascinantes. Le Ravel de Kondrashin n’est nullement joli, esthétisant ou analytique. Kondrashin prend cette musique par les tripes, campant un véritable drame. Sa Valse, sensuelle, raffinée, dansante est aussi emportée et cataclysmique. Cette partition si difficile à transcender sans tomber le mauvais goût, connaît ici avec celle de Charles Munch (RCA) une version définitive. Il en va de même d’une Rapsodie espagnole et d’Ibéria expurgées de tout esprit pittoresque. Avec une magnifique palette de nuances, et un sens inné du rythme, le chef nous plonge au cœur d’une feria plutôt fantomatique et morbide. Le bref et célèbre Introduction et rondo capriccioso de Saint-Saëns, bien joué par Rosa Fain, est un bon complément pour ce disque indispensable aux amateurs de musique française.

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