- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Le World Philharmonic Orchestra revit sous la baguette de Yutaka Sado

Ce disque enregistré lors de la dernière Fête de la musique nous remémore un événement qui n'est pas anodin : la reconstitution du .

On se souvient que cet ensemble, créé en 1985, rassemblait une fois l'an des solistes des orchestres de tous les continents pour transmettre un message de solidarité et de paix à toute l'humanité. Lors de sa création, l'orchestre fut dirigé par Carlo Maria Giulini en Suède, puis successivement par Lorin Maazel en 1986 au Brésil et en 1987, par Giuseppe Sinopoli au Japon. Suite à des problèmes financiers, l'orchestre suspendit ses activités, et ce n'est que ce 21 juin 2006, cette fois-ci en France, qu'il put se produire à nouveau, sous la direction du chef japonais , avec des musiciens venant de 80 pays.

Avec ce disque, il ne faut pas s'attendre à une prise de son hors du commun. Le concert eut lieu en plein air sous une pluie battante ! Malgré les efforts de « gommage » des techniciens de Radio-France, on entend encore les crépitements de la pluie qui accompagnent les passages piani. On peut d'ailleurs remarquer que certaines œuvres interprétées au concert n'ont pas été reprises dans le présent disque. La prise de son souffre parfois d'un mauvais équilibre entre les timbres des différents instruments : en général, trop de percussions mais pas assez de présence des cordes tutti (par exemple à la fin du Boléro de Ravel).

a choisi d'interpréter des pièces exclusivement issues du répertoire français et particulièrement les très « grands tubes » à caractère festif et dansant. On ressent à travers l'enregistrement que le chef dirige avec beaucoup de souplesse, de joie et d'allégresse, prenant ainsi des tempi de façon plus rapide et fougueuse qu'à l'habitude et de ce fait, pris par l'enthousiasme et l'émotion, il ne respecte pas toujours l'esprit de chaque œuvre.

Dans le Boléro de Ravel, avec pour ouvrir le bal, le fameux thème à la flûte jouée par Juliette Hurel, les solistes nous offrent de superbes solos avec une belle homogénéité d'ensemble dans les articulations et le phrasé, mais chacun ajoutant une petite touche personnelle à chaque retour de thème, ils expriment ainsi leur joie de jouer ensemble. Le chef fait confiance à ses musiciens, leur laissant une grande liberté d'expression. Le crescendo tout au long de l'œuvre est très bien mené mais, faute d'une prise de son meilleure, on n'entend pas toujours les alliages instrumentaux comme par exemple le passage assez dissonant du piccolo, cor et célesta.

La suite de Carmen s'ouvre sur un éclatant Prélude pris à une allure un peu pressée, le thème du Toréador est de ce fait joué de façon un peu superficielle sans chercher le côté angoissant qui se cache derrière ce leitmotiv mais cependant très chanté et le thème de la mort également très phrasé est mené de manière originale. L'Aragonaise (plage n°4, et non L'Intermezzo due à un décalage de plages sur le disque), se caractérise par un rythme de danse obstiné, avec des trilles très « espagnoles » et un hautbois qui définit chaque articulation (Douglas Bairstow du Winnipeg Symphony Orchestra au Canada).

L'Intermezzo (et non Les Toréadors, plage n°5) débute malheureusement avec un solo de harpe presque inaudible, mais lorsque la flûte chante la mélodie, le chef réalise alors une ambiance très sereine et détendue et une recherche dans la beauté des alliances sonores. La Habanera est jouée de façon assez enlevée avec notamment le rythme de la danse très écourté. La Danse Bohémienne, plutôt rapide dès le début, se caractérise par un couplet assez neutre et sans extravagance mais avec une percussion très marquée. Le refrain est joué de manière ironique et le second couplet est déjà beaucoup plus vif. Le troisième est presque endiablé par les trilles et bien accentué par la percussion. La coda (ou plutôt le « tutti orchestral »), explose furieusement pour s'achever avec brillance.

L'Apprenti Sorcier souffre beaucoup de l'acoustique, surtout dans les passages piano comme au début où on entend davantage la pluie que les pizzicati des cordes et également certaines associations d'instruments peu clairs. Le côté fantastique de l'œuvre est bien évoqué à la fois par des frémissements bien menés dans les passages lents et par certaines phrases qui donnent l'impression d'une hésitation. Par contraste, la danse est articulée de façon un peu pesante et de tempo modéré par nos bassons bien « français » (Philippe Hanon et Julien Hardy de l'Orchestre National de France). Ils entament ainsi un mouvement de marche qui se généralise ensuite dans tout l'orchestre. Les transitions sont ressenties de façon « imagée » rappelant ainsi le célèbre film Fantasia.

La Marche au supplice de la Symphonie Fantastique de Berlioz commence par un début peu homogène et dans un esprit un peu naïf. Les fanfares sont éclatantes mais les contrastes ne sont en revanche pas assez bien déterminés. Les percussions sont aussi vraiment trop fortes à la fin. Le tout parait un peu trop superficiel pour une pièce qui doit à la fois évoquer une marche funèbre mais aussi la mort héroïque du personnage. Devait-on vraiment inclure cette œuvre dans ce concert qui se doit aussi d'être une fête ?

Avec ce disque, de qualité inégale, on peut être très touché par la bonne humeur et la joie que dégagent le chef et ses musiciens. En revanche, on est beaucoup moins convaincu par l'interprétation de certaines pièces dont l'esprit et le caractère n'est pas toujours respecté. Il en reste néanmoins que est un très bon chef qui donne de nouvelles visions intéressantes et personnelles à des œuvres jouées et rejouées. Enfin, l'idée initiale de ce projet permet de mélanger les sonorités particulières de musiciens venant de différents pays au sein d'un même pupitre (dommage d'ailleurs que les cornistes soient tous issus d'orchestres français) et de pouvoir également représenter ainsi presque tous les orchestres méconnus (connaissez-vous l'Orquestra Sinfonica Nacional del Ecuador ou l'Orchestre Symphonique Syrien ?). Malgré une prise de son très médiocre, ce disque montre l'importance essentielle de la musique : qui que nous soyons, faisons de la musique ensemble pour notre plus grand plaisir.

(Visited 519 times, 1 visits today)