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Joan Sutherland, naissance d’une étoile

L'opéra de Londres dévoile ses archives, échos de soirées mémorables enregistrées par la BBC. Dans cette première livraison se devait de figurer la soirée de février 1959 où une Australienne de 32 ans passait du statut de membre de la troupe à celui de prima donna.

Cela faisait 7 ans que le Covent Garden lui confiait des rôles aussi variés qu'Amelia, Frasquita, Aida, Agathe, la création du Midsummer Marriage, Antonia, Giulietta et Olympia des Contes d'Hoffmann, Micaela, Pamina, Eva, Desdemona, Madame Lidoine, pour ne citer que certains rôles. Toutefois, à partir de 1957, donc deux ans avant la soirée qui nous occupe, la soprano ajoute de nouveaux rôles à son arc : Alcina, Gilda, Madame Hertz et Donna Anna à Vancouver (seule incursion internationale à l'époque), rôles qui laissent entrevoir le potentiel belcantiste et le répertoire à venir. De là à confier à cette troupière estimable la responsabilité de reprendre une œuvre que Londres n'avait pas entendue depuis des lustres, il y avait un pas que la direction du Covent Garden hésitait à franchir. D'une manière générale les œuvres de Bellini, Rossini et Donizetti étaient rarement à l'affiche à Londres. Cela signifiait aussi marcher sur les plates-bandes d'une certaine Callas qui, après avoir défendu Lucia de Mexico à Milan, New York ou Vienne enregistrait sa deuxième Lucia à la même époque dans les studios de Londres ! On connaît l'histoire : la persévérance du mari de Sutherland poussant son épouse dans ce nouveau répertoire et convainquant la direction du théâtre ; cette dernière adoubée par le vétéran Serafin, et bénéficiant des conseils dramaturgiques de Zefirelli, responsable de la nouvelle production. Ajoutons la présence de Callas et Schwarzkopf lors de la générale et le succès foudroyant de la première, la BBC n'avait plus qu'à poser ses micros pour immortaliser la quatrième représentation. Ecouter ce CD est un peu assister à la naissance d'une étoile. La voix de sonne très « jeune fille » claire et brillante, exactement comme dans son premier récital Decca de la même année sous la direction de Nello Santi. Nous sommes loin du timbre plus riche et plus cotonneux que la soprano développera au fil des années 60. L'articulation est meilleure que bien des enregistrements postérieurs, la technique d'acier, la voix impressionnante et la caractérisation convaincante. On imagine le choc de l'abonné londonien en ces soirées de février 59 (et l'on entend son enthousiasme ici). Le reste de la distribution ne peut se situer à la même hauteur et s'éloigne parfois du style requis pour le bel canto. On imagine mieux Joao Gibin chantant un Verdi plus lourd et John Shaw dans un opéra vériste. Le style du baryton laisse à désirer, même s'il joue très bien les méchants. Curieusement, le Raimondo de constitue une surprise plutôt agréable, bien moins trémulant que le souvenir qu'il laissera par la suite.

Il est amusant de constater qu'aucun des chanteurs n'est italien et que cette équipe de trentenaires obéit aux ordres d'un octogénaire. Sans manquer de respect au maestro en fin de carrière, il faut avouer que même s'il connaît ce répertoire, sa direction « pépère » ; manque parfois de nerf et la tension dramatique et musicale retombe plusieurs fois. Quant aux déplorables coupures dans la partition, elles sont malheureusement la norme à cette époque et réduise l'œuvre à deux petites heures (si l'on enlève les applaudissements et la courte interview de Sutherland donnée en appendice). La prise de son est bonne pour une retransmission radio forcément monophonique. Quelques mois plus tard, Callas renonçait définitivement à Lucia, tandis que Sutherland rapidement sous contrat exclusif avec Decca, s'engageait pour 221 représentations de ce rôle et 30 années de carrière internationale. Le passage de témoin avait eu lieu.

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