- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Promesses de Prokofiev

Née en 1981 dans une famille de musiciens, débute l'étude du piano avec son père à six ans avant d'entrer à l'Ecole Musicale Supérieure de Saint-Pétersbourg, puis, trois ans plus tard, au Conservatoire Royal de Bruxelles dont elle obtient le Diplôme Supérieur en 1996 avant d'y enseigner de 1999 à 2001. Elle suit également des cours à la Hochschule für Musik de Cologne avec Vitali Margoulis et Alexander Rabinovitch. Evidemment, elle remporte diverses récompenses, dont le premier prix au concours Tenuto de la Vlaamse Radio en Televisie en 1994. En France, on a pu l'entendre aux Fêtes Musicales de Biarritz et au Festival International de Piano de la Roque d'Anthéron où elle a été élue «révélation 2001».

Après un premier disque dans la série « presents…» chez EMI, elle revient aujourd'hui dans un programme largement consacré à Sergei Prokofiev, où l'on retrouve d'ailleurs son mentor dans une version tonique de la Symphonie classique arrangée pour deux pianos. La précision de la mise en place et la clarté d'articulation sont absolument stupéfiantes. Les traits fusent dans un rythme bondissant, sans un instant de répit. Malgré le soin et l'humour apportés à la transcription, on peut tout de même penser que la dimension parodique de l'œuvre est plus appropriée à l'écriture orchestrale de l'original qu'au piano, un peu trop percussif. Le clou du disque est une excellente Sonate n°7 dense et énergique, qui reste pourtant d'une totale lisibilité rythmique et n'écrase jamais les nuances. La puissance du jeu est vraiment impressionnante, l'engagement physique intense, et pourtant le son reste parfaitement timbré, sans aucune dureté ni agressivité. On retrouve le dynamisme et la rigueur rythmique qu'apportaient les «grands russes», mais tempérées par un souci permanent de la sonorité et de la clarté polyphonique, une certaine chaleur expressive.

Dommage que la prise de son très proche et sèche, écartèle le piano entre les enceintes. C'est très physique et même claustrophobique, mais, heureusement l'instrument est suffisamment rond et agréable pour que cela reste supportable. Dans la Sonate op. 119, le violoncelle, collé très en avant, mesure environ cinq mètres de haut sur trois mètres de large – c'est plus difficile à avaler. Pour le coup, le dialogue ne se fait pas : la musique de chambre suppose une certaine fusion entre les instruments, pas cette espèce de superposition à coup de décibels. Même en réglant au mieux le volume sonore, on éprouve quelque difficulté à entrer dans l'œuvre, chaque coup d'archet étant surexposé aux dimensions d'une cathédrale sonore. Dommage pour l'excellent Poltéra, virtuose engagé, que l'on aimerait écouter ailleurs.

Malgré tout le talent du violoniste tzigane Roby Lakatos, on se demande ce que viennent faire en fin de CD les compléments empruntés à Tchaïkovski, Rachmaninov et Khatchaturian. Leur intérêt musical est faible et le parti pris interprétatif vire au foklorisme slavisant, contresens regrettable dans un programme Prokofiev, même si tout cela est techniquement toujours aussi brillant. D'autant que, curieusement, la dernière plage, après plusieurs longues minutes de silence, fait entendre la Danse du sabre, non plagée et pas annoncée sur la pochette, comme si on avait oublié d'arrêter la bande ! Défaut technique ou surprise voulue ? En tout cas, cela ne fait pas très pro…

Ainsi, l'éclatement du programme et le manque de rigueur de la réalisation technique et éditoriale empêchent une recommandation sans partage de ce disque. Et c'est fort dommage : est une pianiste de premier plan et un disque consacré, par exemple, aux sonates de guerre, enregistré dans une ambiance acoustique normale, aurait sans doute «cassé la baraque». Une autre fois, peut-être ?

(Visited 177 times, 1 visits today)