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L’extase de Measha Brueggergosman

a reçu le Premier Prix au Concours de Chant de Montréal en 2002. Depuis, la carrière de la jeune artiste canadienne a pris un essor considérable et se répand d'un bout à l'autre de la planète ; elle apparaît aux yeux et aux oreilles des mélomanes comme l'une des personnalités artistiques les plus complètes, dans des répertoires variés, touchant aussi bien la mélodie, l'oratorio que l'opéra.

Après un premier enregistrement, So much to tell, sous l'étiquette SRC (SMCD 5234), dédié à la musique de Barber, Copland et Gershwin, elle nous offre cette fois-ci, un disque consacré exclusivement à et à  : Les Nuits d'été, des extraits d'opéras et un air tiré de l'oratorio La Vierge. Le choix nous paraît judicieux et convient au talent de la soprano. Elle se concentre sur les deux porte-étendards de la musique française XIXe siècle, dans une interprétation claire et toujours luxuriante des pièces choisies. En outre, cela lui permet de déployer les pans de son immense talent.

D'emblée, elle force l'admiration et éblouit par le dynamisme et l'énergie dont elle regorge. On retrouve chez cette artiste une manière bien personnelle de caractériser les moments intimes. Dans Les Nuits d'été de Berlioz, elle sait varier dans des modulations accentuées, les six tableaux romantiques que forme le cycle de mélodies. Certes, on se réjouit de la fraîcheur du timbre dans la Villanelle, menée à vive allure, de la profondeur quelque peu ostentatoire dans le Spectre de la rose, de la mélancolie sacrificielle de l'amant abandonné, Sur les lagunes, du désespoir esseulé, d'Au Cimetière. On reconnaît l'âme sensible d'une artiste et l'ampleur d'une émotion à fleur de peau où partout la voix domine. Disposant d'un registre étendu et d'une fine sensibilité musicale, la voix certes, est puissante, – rutilante avec des effets vibrants, parfois déchirants – sans doute pourrait-on lui reprocher un certain manque d'équilibre, une dépense un peu factice dans le faire-valoir, un abus dramatique cherchant l'effet trop souvent exposé. Il lui manque l'intériorité dans les sentiments exprimés, d'autres moyens plus subtils que justifieraient certains emplois. Tout repose sur la voix qu'elle a fort belle et dont elle use et abuse. Ainsi, le doute n'est plus permis dans « Adieu notre petite table », lorsque tente de nous convaincre, en s'appuyant sur les paroles, « Je ne suis que faiblesse et que fragilité ». La voix en parfaite santé résonne sans aucune fébrilité, bien droite, sans flexion émouvante. On a un peu de mal à croire à l'insoutenable légèreté de Manon. Et cela n'a rien à voir avec le physique imposant de la dame. Si la diction française s'est nettement améliorée depuis son concert donné à Montréal certaines inflexions paraissent toujours étrangères de notre langue. En outre, elle pèche par une caractérisation outrancière et une approche qui gauchit le caractère de certains personnages. Il lui reste à peaufiner son art, à polir ce qui fait le charme du style de chant français. Nous la retrouvons plus à l'aise dans l'air de Chimène, « Pleurez mes yeux » à la rigueur, celui de Salomé, « Il est doux, il est bon ».

Moment magique, intense, où le temps semble suspendu, « l'Extase de la Vierge » demeure un moment fort, grandiose, élégiaque. donne la pleine mesure de son talent dans cette page puissance, toute en retenu, une évocation de la divine Extase mariale dans une ascension qui touche au sublime. C'est la sincérité qui prévaut, qui nous touche, c'est le chant vécu dont l'inspiration semble divine. Ne serait-ce que pour cette page lumineuse, il serait impérieux de se procurer le disque. En complément de programme et nullement indiqué sur le CD, un gospel qui rappelle sans doute le lien indélébile qui la lie à cet art sacré et à la communauté noire américaine.

Yoav Talmi à la tête de l'OSQ donne tout l'espace requis à la cantatrice. Il établit d'emblée un équilibre entre la voix et l'orchestre et permet à celui-ci de déployer, dans le vibrant Prélude de Werther et l'entracte d'Hérodiade, toutes les nuances que ces pages requièrent. Retenons le violoncelliste Blair Lofgren, véritable orfèvre qui se joue des difficultés en des arabesques qui illuminent le « Dernier Sommeil de la Vierge ».

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