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Narziss und Goldmund à la rencontre de Lekeu et De Greef

Le Trio à clavier «  » porte le nom du roman éponyme de l'écrivain allemand Hermann Hesse (1877-1962), qui symbolise la complémentarité de la spiritualité intellectuelle (Narziss) et de la sensibilité émotionnelle (Goldmund). C'est au travers de cette complémentarité que les musiciens du Trio cherchent leur équilibre artistique, et ils ne pouvaient mieux l'épanouir qu'en choisissant ces œuvres de et . Il faut également souligner que les membres du Trio à clavier «  » ont de qui tenir, puisqu'ils ont bénéficié de l'enseignement du Quatuor Alban Berg, ainsi que de celui de Menahem Pressler, l'un des fondateurs du Beaux-Arts Trio.

Le temps n'est pas si lointain où était connu uniquement par sa célèbre Sonate pour violon et piano (1892) dédiée à Eugène Ysaÿe, son Adagio pour quatuor d'orchestre (1891) et sa Fantaisie pour orchestre sur deux Airs populaires angevins (1892) ; tandis qu'étaient bien plus rarement enregistrés le Quatuor à clavier inachevé (1893) ainsi que le Trio à clavier (1891) sous rubrique. C'est l'entreprenant label belge Ricercar qui donnera l'impulsion révélatrice en publiant une admirable « Édition du Centenaire » de la mort de Lekeu où figure virtuellement en 9 CDs tout ce que le musicien originaire de Heusy près de Verviers a composé au cours de sa trop brève existence. Même ainsi, le Trio à clavier a été rarement enregistré : depuis la version historique pionnière en microsillon (1958) de la Society for Forgotten Music américaine, huit enregistrements seulement en ont été réalisés, contre une quarantaine honorant la Sonate pour violon et piano. Le Trio à clavier est l'œuvre imposante – 40 minutes – et à fleur de peau d'un musicien écorché vif, épris des Quatuors à cordes de Beethoven à qui il rend un hommage évident. De structure classique en quatre mouvements dont l'unité est assurée par l'application cyclique d'une cellule thématique de quatre notes, la partition est tout naturellement dédiée par Lekeu à son cher maître César Franck dont la disparition le laissera comme désemparé. L'œuvre est difficile en ce sens que les interprètes doivent en dominer la structure aux vastes proportions et maintenir l'intérêt de l'auditeur constamment plongé dans un bain de musique sans le moindre temps mort : le Trio «  » y réussit avec maîtrise et conviction, nous révélant avec pudeur et sensibilité les cheminements d'une âme tourmentée.

Deux pianistes-compositeurs célèbres furent pionniers dans la popularisation du Concerto en la mineur de Grieg : l'Australien Percy Grainger et le natif de Louvain dont Grieg lui-même estimait qu'il n'existait pas de meilleur interprète de sa musique ; le disque a fort heureusement préservé des interprétations d'œuvres de Grieg par De Greef en personne, dont le Concerto gravé en janvier 1927 (Pearl GEM 0080). En tant que compositeur, , cet élève d'Ignaz Moscheles et de Franz Liszt, nous laisse des pages qui témoignent de son attachement à la musique des néo-classiques Brahms et Saint-Saëns, tout en laissant s'épanouir un lyrisme non exempt d'humour, qui lui est propre. Il est regrettable que peu d'enregistrements de ses œuvres soient disponibles : rappelons les Quatre Vieilles Chansons Flamandes par le légendaire Franz André et l'Orchestre Symphonique de la Radiodiffusion Belge, aux temps héroïques du microsillon (Telefunken LGX-66024) ; les Sonates pour violon et piano et la Sonate pour deux pianos (Talent DOM 2910 24), ainsi que les deux magnifiques Concertos pour piano (Marco Polo 8223810). Aussi accueillons avec gratitude cette première mondiale en CD de son beau Trio en fa mineur. D'une structure en trois mouvements et d'une durée égale à la moitié de celui de Lekeu, le Trio de De Greef, s'il est moins tourmenté que celui de son jeune compatriote, n'en est pas moins une œuvre non exempte de dramatisme, au lyrisme chaleureux et poétique ; d'aucuns feront à tort la fine bouche en la trouvant un peu anachronique, car bien qu'écrite en 1935, elle ne renie en rien l'héritage du XIXe siècle, tout en introduisant une touche fauréenne bien française. Le Trio « Narziss und Goldmund » l'interprète à la perfection.

Signalons également que l'excellent pianiste de ce Trio, Piet Kuijken, et le violoncelliste Karel Steylaerts, ont précédemment enregistré un disque Phaedra tout aussi parfait (« In Flanders'Fields » 92030) entièrement consacré à Joseph Jongen dans l'intégrale de son œuvre pour violoncelle et piano.

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