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Excellente prise de rôle de Christine Brewer en Isolde

Empruntés au Los Angeles Opera, les superbes décors et costumes du peintre chéri d'Hollywood , célébré pour ses immenses piscines en à-plats au bord desquelles se languissent de jeunes et beaux californiens si peu vêtus, nous plongent d'emblée dans ce monde magique et courtois, qu'enfants, nous appelions, avec Lewis Carroll, le pays des merveilles.

Nefs et voiles (gigantesques), manoirs (ou ce qu'ils en reste), forêts (Brocéliande ?) éclairent alors notre chronique. Bretonne. Pour ne pas dire bretonnante…… certains motifs, le triskell par exemple, réapparaissant ainsi tout au long du drame. Les personnages, essaimés sur l'immense plateau, comme pour le couvrir tout entier, rappellent, eux, ces petits soldats de plomb violemment coloriés qui peuplaient autrefois nos livres d'images : le roi, la princesse, le méchant, le chevalier (sans peurs, sans reproches), chacun illustrant la qualité de son rôle (l'amour, l'amitié, la trahison… ), chacun revêtu de sa couleur codée (acte 1 : le bleu Tristan, la rouge Isolde, la verte Brangäne). Au 3ème acte, nos figurines, assument, couchées à même le sol, ces quelques poses, grotesques et/ou émouvantes, d'un Dormeur du val. On peut regretter l'absence totale de mouvement, d'expressions (actes 1 et 2) dans une œuvre suffisamment statique, ainsi que les allées et venues intempestives d'un Tristan (acte 3), debout, solide, ravigoté par maintes rasades (de chouchen ?) et que la mort surprendra… en deux mesures ! Il réapparaîtra quelques minutes plus tard, droit, increvable, derrière Isolde, qui elle aussi saura mourir debout, les yeux sans doute rivés sur la ligne bleue de l'Erzgebirge. Bref, décors, costumes, protagonistes, unidimensionels, solidement stéréotypés, de carton-pâte, annonciateurs d'énormes clés (celles de Gottfried von Strassburg ?) et qui semblent relever d'un art strictement décoratif et naïf, adoré des Victoriens, participent tous d'un projet solide et convaincant qui, mis à part deux ou trois moments, fonctionne à plein.

a réservé au public de San Francisco sa première Isolde ; il l'en remerciera bruyamment en fin de parcours. Un aigu des premiers instants, strident, court, mal assuré, un vibrato mal contrôlé (mais le texte est d'emblée soigné : le «Was hältst du von dem Knechte» claque comme un véritable fouet) font craindre le pire et gâchent un premier récit («auf einem Kahn…»). Mais la voix s'ouvre vite, s'épanouit, pour atteindre au vif-argent dès le «O blinde Augen» L'aigu devient alors violent, ravageur, puis extatique. A l'acte 2, Brewer saura peaufiner avec un soin extrême une ligne vocale intimiste. Elle atteindra à l'acte 3 une telle force, une telle densité, une telle beauté qu'on en restera abasourdi.

La voix pleine, souple et bien timbrée de , (Brangäne) qui chante aux Etats-Unis pour la première fois, son interprétation remarquablement sensible et naturelle, dévoilent une artiste déjà consommée. Le Tristan de , en grosse perte de vitesse, déçoit : bon chambriste dans un acte 2 qui regorge de langueurs et d'ambiances, de longs moments sages et bien rangés, Moser s'effondre au 3 et rate un délire annoncé. Le timbre reste jeune mais la voix, délabrée, n'en peut mais. Le roi Marke de cerne l'événement. Elégant, naturel, touchant, il nous révèle un ton, une force, un caractère inhabituels. Egalement excellent, le Kurwenal de (lui aussi en première U. S. ), vrai protagoniste. Maître d'œuvre de ce Tristan, , brillant à l'extrême, dirige un orchestre à vif, souvent torrentiel, décapant, lyrique et souple lorsqu'il le faut. En conclusion : une fort belle réussite.

Crédit photographique : © Terrence McCarthy

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