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Sinae Lee, référence absolue de Szymanowski pour piano seul

, cet admirable musicien polonais dont on commence enfin – et ce n'est pas trop tôt ! – à découvrir l'œuvre dans sa globalité, subit d'abord l'influence de Chopin, son prédécesseur et compatriote, puis, à travers Rachmaninov et Scriabine, trouva un langage propre et original traduisant idéalement les méandres les plus complexes et secrets de sa personnalité tourmentée. Le piano étant son instrument, il n'est guère étonnant qu'une partie importante de sa production lui fût consacrée : dès avant sa vingtième année, Szymanowski était l'auteur de quantité de pages pour cet instrument, dont ne subsistent que ces Neuf Préludes ainsi qu'un Prélude en ut dièse mineur récemment redécouvert (1996) et dont cet enregistrement nous offre la primeur mondiale incluse dans cette incomparable intégrale de l'œuvre pour piano solo. L'influence de Chopin s'atténue très rapidement dès les admirables Quatre Études dont la n°3 fut à juste titre si célèbre qu'elle a été l'objet d'une splendide orchestration due au compositeur et chef d'orchestre Grzegorz Fitelberg (1879-1953), fondateur de l'Orchestre Symphonique National de la Radio Polonaise, et ami de Szymanowski.

La Sonate pour piano n°2, écrite pour Arthur Rubinstein et créée par lui en 1912, est probablement l'une des pages les plus accomplies de Szymanowski ; toutefois ce ne sera qu'à partir des Métopes que le style du compositeur se révélera, manifestement fort marqué par l'impressionnisme français, avec des influences du Liszt des œuvres fluides, de Ravel, et même des incursions dans le monde sonore de l'École Polonaise à venir, particulièrement Serocki. Les Douze Études sont bien sûr un hommage aux œuvres similaires de Chopin, mais l'influence de Ravel est toujours présente, avec certains échos de Scriabine et Prokofiev. De même, dans les Mazurkas, Szymanowski partira du modèle de Chopin pour aboutir au style très personnel si caractéristique, qui ne fait de lui en rien un épigone des compositeurs précités, mais bien un compositeur dont la voix unique nous fait découvrir des mondes sonores inouïs, dans le sens propre du terme.

Peu de pianistes osent s'aventurer dans l'univers musical complexe et subtil de , car il exige une technique sans faille associée à une sensibilité tout à la fois exacerbée et raffinée, sans lesquelles la démarche serait redoutablement périlleuse pour l'interprète. Il y a quelque temps déjà, en 1994, le label anglais Nimbus nous avait offert une interprétation fort honorable de l'intégrale pour piano par le pianiste gallois Martin Jones (NI 1750), toutefois entachée en certains endroits d'erreurs de lecture. Pour nous révéler l'univers sonore de Szymanowski dans toute sa splendeur, il fallait l'amour et la magnifique sensibilité de la pianiste coréenne qui nous offre une réalisation des plus achevées, et cela dans un enregistrement irréprochable du label anglais Divine Art, donnant enfin à l'auditeur la sensation de n'avoir aucun intermédiaire entre la pianiste et lui-même. On est confondu de constater qu'une musicienne dont la culture est à priori fort éloignée de la nôtre puisse s'immerger aussi aisément dans cet univers sonore, et cela est d'autant plus extraordinaire qu'il s'agit en l'occurrence de son tout premier enregistrement, alors qu'elle mène également de front une thèse de doctorat dont le sujet est… la musique pour piano de Szymanowski !… Il n'est donc pas étonnant que son jeu extraordinaire ait été immensément apprécié dans beaucoup de classes tenues par des pianistes mondialement célèbres tels que Lazar Berman, Dmitri Alexeev et John Lill. Le résultat et là, péremptoire : tout cela coule admirablement de source et est tout simplement prodigieux !

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