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Pour fêter New York

Frénésie ma non troppo

Pour fêter New-York, la nouvelle thématique déclinée par la Cité de la Musique du 11 novembre au 2 décembre, c'est une pléiade de compositeurs, natifs ou familiers de la mégalopole américaine qui investiront l'amphithéâtre et la salle des concerts pour rendre compte du foisonnement sonore et des visages multiples de cette ville, capitale du jazz et de la comédie musicale, où se côtoient des esthétiques aussi différentes que celles de et de son aîné , tous deux au programme de la soirée du 21 novembre.

Mais c'est à un compositeur français, , que l' avait passé commande pour ce concert. Installé depuis bientôt dix ans non loin de New York – dans sa résidence « semi-rurale » au bord d'un lac – enseigne la composition à l'université de Columbia située au nord de Manhattan. Rappelons qu'il a été co-fondateur de l'Ensemble Itinéraire en France dans les années 70 et membre actif de l' en tant qu'enseignant et chercheur avant de tourner le dos aux institutions françaises pour accepter une chaire de composition new-yorkaise. Après le Lac, une pièce pour ensemble instrumental (2001) inspirée par son environnement quotidien, il propose dans sa nouvelle œuvre d'une durée de trente minutes Légendes urbaines une série d'images défilant au rythme de la promenade, une évocation personnelle de la « City » nourrie par son imaginaire d'artiste. La référence aux Tableaux d'une exposition dont Murail reprend le modèle formel est explicite : comme chez Moussorgsky, les tableaux successifs sont reliées par une musique interstitielle, celle, bruiteuse, du « subway » accompagnée de sonneries de cuivres délicieusement détempérées que se plait à détailler dans leurs moindres inflexions microtonales. Sans le recours de l'électronique, il prévoit une disposition spatiale des groupes instrumentaux moins magique, certes, que la machine pour faire tourner les sons dans l'air du soir. Sensations de vitesse, de lumière diffuse – Central Park at twilight, de palpitations multiples – avec les joggers du dimanche -, en bref la captation poétique et très personnelle d'une oreille résolument étrangère à ce monde vu par le bout de la lorgnette, prétexte à des combinaisons timbriques et rythmiques qu'affectionne le compositeur et une pensée pour Varèse – cet autre étranger dans la ville et père des techniques dites « spectrales » – dont Murail fait résonner les fameux « accords gratte-ciel » pour évoquer les deux piliers de métal argenté du Georges-Washington Bridge. Est-ce l'hommage un peu appuyé à la tradition qui donnait à l'écriture spectrale une certaine patine ou la conception formelle très convenue occasionnant quelques longueurs sur ce parcours offrant cependant des plages d'une grande séduction sonore ?

La deuxième partie du concert mettait en lumière le clivage très new-yorkais entre « up town » et « down town », deux positionnements esthétiques bien distincts opposant les tenants de la culture européenne à la tendance « Soho » plus expérimentale et ancrée dans la vie américaine.

est natif de New York mais formé à l'école de Nadia Boulanger qui l'isole radicalement du style « américanisant » d'un Bernstein. Composé également à la demande de l' en 1996, le Concerto pour clarinette – une épure très abstraite face aux deux autres œuvres du programme – met en évidence l'écriture volubile et exigeante du compositeur qui, sans jamais se rallier au système sériel, le rejoint dans la complexité de ses figures, l'incessante mélodie de timbre procédant par relais instrumentaux et la spéculation rythmique autorisant de savants décalages temporels. Le clarinettiste – l'excellent Alain Damien se jouant de toutes les difficultés – concerte avec différents groupes instrumentaux, enchaînant des mouvements extrêmement énergiques – à jouer aussi vite que possible ! – et des plages plus intérieures mettant en valeur la fine texture des cuivres. L' n'est jamais aussi performant que dans ce genre d'œuvre éminemment virtuose dont « le véritable intérêt, nous dit Carter, réside dans son organisation ».

La dernière œuvre du programme nous replongeait au cœur de la ville avec City Life, une œuvre du new-yorkais évoquant sa ville natale en une réalité qui se veut plus bruyante, plus agressive et rugueuse que celle de Murail ; City life est peuplée de klaxons, d'alarmes de voitures, de sirènes de pompier et d'interjections verbales, autant d'échantillons sonores – préenregistrés et joués en direct par deux claviers numériques – intégrés à un processus répétitif et accumulatif lentement accéléré dont s'est toujours fait le spécialiste. L'ensemble instrumental fait l'objet d'une amplification à la mesure de ces turbulences urbaines. L'interprétation trop lissée et sans rebondissement qu'en donne est loin de rendre justice à une œuvre qui, au demeurant, reste une des plus attachantes de Steve Reich.

Crédit photographique : © 2000

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