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Siheng Song maître de la soirée

Concours Marguerite Long – Jacques Thibaud

D'un récital sollicitant les lauréats du concours Marguerite Long / Jacques Thibaud, le public est ordinairement en mesure de tout attendre, de la fascination teintée d'émotion à cette admiration nuancée de mélancolie qui laisse présager le vrai bonheur musical. En l'occurrence, la lecture initiale du programme devait cependant tempérer quelque peu cet enthousiasme de principe, le colorer même d'une certaine perplexité, les œuvres données par nos aspirants à la gloire scénique ne se réclamant que très faiblement du paramètre virtuose si prisé par les amateurs des seules – et avantageuses ! – prouesses digitales.

Autant en convenir d'emblée, ces craintes furent aussitôt dissipées. Enfin, presque… l'exécution liminaire de l'ouverture de la Flûte enchantée ne laissant pas d'entretenir le doute ! Non quant à l'excellence de l'orchestre, vif, précis, d'une miraculeuse et naturelle aisance, mais relativement à l'autorité de son chef, dont les gestes curieusement saccadés semblaient paradoxalement dictés par la phalange qu'il était censé diriger. Illusion si forte qu'elle renvoyait par instants au spectacle de ces petites poupées des trottoirs et des couloirs du métro que d'occasionnels brocanteurs – régulièrement dispersés par l'irruption foudroyante d'une patrouille de police – font danser au son de leurs transistors déchaînés !

Il serait certes exagéré de placer le Concerto pour piano, violon et orchestre au chapitre des grandes pages de Mendelssohn, mais l'ouvrage est loin de manquer d'intérêt. Alors, pourquoi cet étrange choix de n'en jouer que les deux derniers mouvements ? Imagine-t-on la publication d'un roman de Balzac ou de Proust amputé de ses premiers chapitres ? L'unité organique de l'œuvre ne résiste pas à un tel traitement. Cette réserve exprimée (mais elle reste sérieuse, faute d'une raison valide donnée à cette amputation), nous n'en serons que plus à l'aise pour vanter les mérites d'Ilia Rachkovski, chez qui l'aisance du geste, la musicalité du discours et l'ampleur du son dénonçaient immédiatement le musicien hors pair ; à son côté, la violoniste Akiko Yamada, peut-être desservie par le patente dureté de son instrument, fit preuve d'une application louable, mais parfois laborieuse.

Aucune restriction de cette nature en ce qui concerne la violoniste hollandaise, Frederieke Saeijs qui a instantanément imposé sa présence scénique, son charisme et ses choix expressifs dans le Concerto pour violon n°1 de Bruch. Ce qui, au passage, fit regretter l'absence – aucunement imputable à son merveilleux talent – d'une véritable fusion avec un orchestre aux nuances trop appuyées, voire illogiques relativement à la dynamique concertante de l'œuvre.

Commandé spécialement par les organisateurs du concours lors de la session 2000, le Divertimento de courait, pour sa part, le risque de se présenter comme l'alibi contemporain d'une soirée un peu trop classique. D'autant plus que le prestigieux voisinage de Chausson et de Ravel ne laissait guère de chances à l'exercice d'une indulgence coupable ! Là encore, que d'appréhensions mal fondées ! Admirablement servi par ses deux jeunes interprètes, l'ouvrage opéra – sans surprise pour ceux qui connaissent sa musique – la démonstration des éclatantes qualités de , compositeur racé et puissant, chez qui la vitalité inventive le dispute à la perfection formelle. Gageons qu'avec dix auteurs de cette qualité, la musique contemporaine serait vite absoute du péché d'assistanat dont l'accablent ses ennemis !

C'est au pianiste chinois, qu'il revenait de clore cette soirée, avec le Concerto pour la main gauche de Ravel. Qui donc a dit que les jurys se trompent par principe ? En élisant ce prince du clavier, les juges du concours 2004 ont sacré un maître. D'autant plus qu'ici la direction de l'orchestre – le chef se crut-il par moments au fond d'une fosse lyrique et non en scène, avec le devoir de concerter ? – ne fut pas à la hauteur de l'événement. Sans même nous attarder sur les mérites de son éblouissante virtuosité (aisance surnaturelle des déplacements, variété des timbres et des modes d'attaque, vélocité des traits…), nous relèverons simplement que la maturité exceptionnelle de , son impériale sonorité et sa prodigieuse intelligence du magicien Ravel bouleversèrent ses auditeurs subjugués. Qu'il n'existe d'autre empire céleste que celui des expressions sensibles, n'est-il pas plaisant que la preuve nous en ait été, une nouvelle fois, fournie par ce fils du ciel musical ?

Crédit photographique : © DR

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