- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Chostakovitch par la face historique: Mravinski

Alors que les nouvelles intégrales des symphonies de Chostakovitch fleurissent (lire ici la chronique de l'intégrale conduite par Dimitri Kitaenko), il est intéressant de pouvoir réécouter les enregistrements laissés par l'un des plus proches collaborateurs du compositeur, le chef d'orchestre (1903-1988).

Natif de Saint-Pétersbourg, Mravinski était issu d'un milieu musical. Elève de Nikolaï Malko puis d'Alexandre Gaouk pour la direction d'orchestre au conservatoire de sa ville natale, il n'avait pas le profil du surdoué. Travaillant sérieusement, il s'imposa cependant peu à peu comme un chef d'orchestre à suivre. Jeune chef au Théâtre académique d'opéra et de ballet de la ville, Mravinski dirigeait fréquemment la prestigieuse Philharmonie. Caractère peu communicatif et doutant souvent de lui-même, Mravinski accepta en 1937 de créer la Symphonie n°5 du compositeur. Intervenant dans le contexte difficile qui suivait la mise au ban de Chostakovitch réaction à l'opéra Lady Macbeth de Mzensk, Mravinski sut résister à la pression pour porter cette symphonie au triomphe. Une profonde amitié se noua entre les deux hommes et le chef donna ensuite cinq autres premières auditions de symphonies de Chostakovitch : les symphonies n°6 à 12, à l'exception de la Symphonie n°7 «Leningrad», créée dans des conditions particulières. Mravinski fut même le dédicataire de la Symphonie n°8.

Lors des terribles années de l'après seconde guerre mondiale, alors que le pantin Jdanov remplissait les colonnes des journaux et ses discours de salmigondis haineux, Mravinski fut le seul à programmer la musique de son ami, victime des plus basses attaques. Cette amitié prit pourtant brutalement fin en 1962 quand Mravinski prétexta de trop prenantes activités pour décliner la création de la Symphonie n°13 «Babi Yar».

Implacable pourrait être le qualificatif du style particulier de Mravinski. Dans des tempi globalement rapides, le chef d'orchestre arrache tout sur son passage, déchaînant une masse orchestrale saillante et volcanique. Il est impossible de résister à ce torrent émotionnel provoqué par des hommes qui comprennent cette musique pour avoir vécu au quotidien les évènements du drame soviétique. Proche de la propagande à une première écoute, la Symphonie n°12 «1917» est ici un véritable tsunami dévastateur tout comme les symphonies n°7, n°8 et n°10 et n°11. Il paraît vain de rentrer dans les détails tant ces interprétations pionnières sont un monument de l'histoire de la musique. Le cas des n°5 et n°15 semble plus délicat. La Symphonie n°5 souffre d'une prise de son très médiocre qui ne rend pas justice à la prestation des musiciens. La Symphonie n°15 est limitée par une lecture un peu trop au premier degré. On préfèrera rester fidèle à Kitaenko (Capriccio), Haitink (Decca) et Sanderling (Berlin Classics).

On sera plus réservé sur la valeur musicale du bien secondaire Chant des forêts, hymne stalinien au culte de la personnalité, en dépit de l'engagement des interprètes.

Un coffret indispensable et inégalable, même s'il faut s'habituer aux timbres acidulés si particuliers de l'école russe et surtout à des prises de son assez pauvres en restitution et en dynamique.

(Visited 1 593 times, 1 visits today)