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Débuts européens dans Traviata pour Annick Massis : Défi relevé

Pas de saison viennoise sans les piliers du répertoire : une année sans Carmen, Rigoletto, Tosca, Zauberflöte, Traviata ou autre Bohème serait aussi impensable qu'une semaine sainte sans Parsifal.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en ce dimanche de novembre, le Staatsoper propose la 260e représentation de cette mise en scène de Traviata. Mise en scène «d'après » précise le programme. Si les corps stables et l'équipe technique de la maison fonctionnent en pilotage automatique, ce n'est pas le cas des solistes qui répètent sans orchestre les deux jours précédant la première, se retrouvent aussitôt projetés sur scène, et fouette, cocher !

La production traditionnelle du Staatsoper, si elle n'apporte aucune surprise, permet au moins une parfaite lisibilité de l'intrigue. Le spectateur frileux retrouve ses repères, son salon 1850, ses robes à crinoline, son ballet de toreros au troisième tableau. Ce n'est pas désagréable, mais avouons-le : quand on a vu dix fois cette production et qu'on sait qu'on la verra encore plusieurs années, l'intérêt se porte davantage sur la musique et le jeu des chanteurs.

propose une direction équilibrée, respectant la balance entre fosse et scène, adoptant des tempi globalement satisfaisants. A l'exception de quelques petits décalages, la partition est menée à bon port. Les coupures, minimes, sont celles retenues en général sur presque toutes les scènes de la planète : pas de reprises de «A fors'è lui», une demi cabalette «O mio rimorso» ; pas de deuxième couplet pour «Addio del passato», quelques micro-coupures dans les duos. L'orchestre et les chœurs sonnent de manière satisfaisante.

A l'exception d'une entrée ratée d'Annina, les seconds rôles sont tenus avec grand professionnalisme. Les interprètes de Gaston, Douphol, d'Obigny et Grenvil forment une troupe solide. Distinguons la Flora Bervoix de la jeune Juliette Mars, à la voix et au jeu prometteurs. Le baryton Georg Tichy a du métier ; cela se voit dans son noble maintien sur scène, mais la voix accuse le passage du temps : le vibrato est envahissant, la ligne essoufflée. On est surpris, dans ces conditions, de l'entendre extrapoler un si bémol aigu sur «ferma» à la fin du deuxième tableau. Ho-yoon Chung vient d'intégrer la troupe du Staatsoper. Son Alfredo est un peu surjoué, mais nuancé dans le chant. Le timbre n'est pas exceptionnel, mais ce jeune Coréen de moins de 30 ans phrase agréablement «De'miei bollenti spiriti», ne recule pas devant le contre-ut de la cabalette et finit par emporter les suffrages des spectateurs.

Après Lucia il y a onze mois à Vienne et Giunia à Salzburg cet été, retrouve l'Autriche pour ses débuts européens dans un rôle qu'elle n'avait chanté à ce jour qu'aux Etats-Unis. Le premier acte la montre séduisante et brillante, mais avec cette fêlure de l'âme de la demi-mondaine tuberculeuse rencontrant l'amour. Son «Sempre libera» mené à un tempo véloce est bien enlevé. Consciente de ses moyens qu'elle ne cherche pas à outrepasser, la soprano sait garder tout au long de la représentation l'équilibre entre beauté vocale (égalité des registres, ligne de chant, soin apporté aux mots) et intensité dramatique, pour aboutir à une mort poignante et à un «Oh Gioia!» à donner le frisson. D'aucuns préfèreront un jeu plus extraverti, par exemple lors de sa rencontre avec Germont, mais le choix d'une interprétation plus intériorisée se défend aussi. Quoi qu'il en soit, le public de cette matinée dominicale a réservé à la soprano française un accueil chaleureux.

Credit photographique : © DR

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