- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Défis polyphoniques par Paul Van Nevel

La plupart des messes et motets de la Renaissance sont basés, par tradition, sur le cantus firmus, l'opposition des groupes de voix aérant la polyphonie. Dans cet ars perfecta, la ligne mélodique horizontale se superposant aux harmonies verticales, dans un ensemble parfaitement cohérent, perd le plus souvent de sa force quand il lui faut intégrer l'entrelacs d'un trop grand nombre de lignes différentes, comme autant de supports d'un texte dont la perception (même parfaitement articulé) devient pour le moins aléatoire, voire problématique. D'où la réaction de l'Eglise, au milieu du XVIe siècle, au cours des interminables sessions du Concile de Trente, qui déconseille la polyphonie trop complexe, supposée nuire à la bonne compréhension des textes sacrés, surtout quand le recherche de complexité ne trouve de raison d'être que dans la course à la performance….

C'est cependant parmi ces « compétiteurs » hors normes que compose ce programme, pour les 35 ans d'existence de son ensemble. Des musiciens qui, pour parodier le mot de Martin Luther, contrairement au commun d'entre eux, lesquels font « ce qu'ils peuvent des notes », à l'instar d'un Josquin des Prez, en font « ce qu'ils veulent ».

Il n'empêche, et ce n'est pas un hasard, que plastiquement parlant, ce sont les pièces écrites pour un nombre de voix n'excédant pas la vingtaine, qui présentent le meilleur rapport masse chorale / beauté sonore. Ainsi ce superbe Gloria de Juan Bautista Comes (pour douze voix, en trois chœurs répartis dans l'espace) ou encore l'Exaudi me Domine de Gabrieli (pour quatre chœurs à quatre voix). Ce florilège d'hyperpolyphonie inclut naturellement les deux pièces les plus représentatives de la tendance : le Spem in alium de et l'Ecce beatam Lucem d' ; des pièces qu'on est en droit d'admirer davantage peut-être pour le tour de force d'écriture (savantissime exercice de style) qu'elles représentent, que pour leur intrinsèque valeur spirituelle. Et à propos de spiritualité, on pourra s'étonner de la présence ici d'un texte (canon à seize voix) singulièrement poli(poly ?)sson de Pierre Maessens et adapté de Jehan Mouton : En revenant de Lyon, perçu comme un clin d'œil allégeant le propos. Enfin, autre « intrus » (en apparence) dans cette anthologie Renaissance : le compositeur contemporain W. Ceuleers (qui est aussi un membre des Huelgas) et son Nomen mortis infame, œuvre de circonstance pour les 35 ans de l'ensemble, à l'effectif considérablement étoffé pour l'occasion, de même que pour les deux pièces « à quarante ».

Le tout est enregistré en public, à l'abbaye de Noirlac, sans gêne aucune pour l'auditeur qui peut aussi bien en ignorer la présence. La qualité d'interprétation des Huelgas et de leur chef est à la hauteur de leur réputation et de ces défis d'écriture : en tous points, remarquable (absolue justesse, fusion des voix, précision des entrées…). Nous est proposée ici une véritable démonstration de virtuosité chorale.

Mais pour goûter pleinement la perfection de la performance : écoute recommandée à partir d'un lecteur spécifiquement SACD multiformats, car bien que l'enregistrement soit de type « hybride », donc donné comme lisible sur tout lecteur CD basique, sa reproduction sur ce type de lecteur donne un résultat décevant, et tout particulièrement les deux pièces à 40 voix : effet de saturation garanti et perte de détails importante.

(Visited 412 times, 1 visits today)