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IIIe Semaine des Cordes Pincées

Trivandrum Venkataram, Cristo Cortés, Gérard Abiton

Pour sa troisième édition, la Semaine des Cordes Pincées nous a régalé grâce à un programme de haute qualité et de rareté. A commencer par deux soirées consacrées à la musique d'Inde du Sud dont la première, une rencontre, qui permit à un large public de bénéficier des explications sur cette musique si envoutante au travers de la sarasvati vina (instrument à 7 cordes).

Un grand maître était invité grâce à la collaboration des organisateurs avec l'association Archipels, réputée pour son exigence d'authenticité des musiques traditionnelles. Maître Venkataraman est de ces musiciens qui perpétuent une tradition ancestrale. Accompagné de son complice de toujours, le joueur de mridangam (percussion) Karaikudi Krishnamurthy, ils nous offrent quelques clés pour mieux comprendre la construction harmonique et rythmique des ragas carnatiques avec une simplicité déconcertante.

Fort de ce bagage somme toute rudimentaire au regard de l'immensité de cette musique, nous pûmes profiter, le lendemain, d'un concert digne de ce nom. Pendant plus de deux heures consécutives, ces maîtres d'un autre monde et d'un autre âge nous plongèrent dans la magie de l'Inde, accompagnés par Anandi Roy aux talas (frappes des mains). Un tel niveau de qualité a rarement dû être atteint dans ce répertoire et le public comprit vite l'évènement exceptionnel qu'il vivait. Il arrive que Maître Venkataraman soit invité, comme ce fut le cas cette année, au festival Tyagaraja à Paris. N'ayez aucune hésitation à aller l'écouter, vous vivrez un moment d'une rare intensité.

Le lendemain était consacré au flamenco avec pour commencer, une master-class de cante délivrée par Cristo Cortés à l'Espace Senghor de Verson. Durant trois heures, les élèves courageux essayèrent tant bien que mal de suivre les conseils du cantaor et de reproduire ce chant qui restera un mystère tant sa complexité technique échappe à notre entendement. Au travers de lettras de tango et d'alegria, avec une grande patience, Cristo Cortés insuffla un peu de son savoir avec pédagogie. Le public découvrit ce chanteur exceptionnel alors qu'il accompagnait le guitariste Jean-Baptiste Marino l'an dernier à cette même Semaine des Cordes Pincées. A l'écoute de cette voix fantastique, les organisateurs lui demandèrent d'organiser cette année un spectacle autour de lui. Le soir, il se produisit donc au Puzzle de Caen à guichet fermé. Une salle comble pour accueillir celui qui devient petit à petit un des plus grand cantaor gitan français, et qui fit une entrée remarquée en commençant, seul, debout face au public, par une Martinete. Ce cante qui s'interprète sans accompagnement, si ce n'est parfois par la frappe du compas sur une table, n'est pas à la portée de tous. Il nécessite une grande connaissance de la tradition et une maîtrise vocale qui ne s'improvise pas. D'emblée le ton était donné. Cristo Cortés nous faisait savoir à quel niveau il comptait nous faire passer la soirée. Vint ensuite une Siguiriya par le guitariste Frasco Santiago et le cajon de Cadu qui nous révélait deux musiciens largement à la hauteur du cantaor. Avec Cristo Cortés et Manuel Gutierrez, ils enchainèrent tous les quatre par une Alegria digne de ce nom avant un tango où le chant rivalisait avec la danse de Manuel Gutierrez. Des pieds en feu, un regard où toute la fierté gitane transparaît, et il n'en fallait pas plus pour hypnotiser un public déjà sous le choc. La suite ne fut qu'une succession d'émotions, au point que le public ne voulut pas sortir malgré deux rappels. Et c'est après s'être changé que Cristo Cortés dût revenir pour offrir un Tango comme dernier salut à ce public conquis pour la deuxième année.

Pour clôturer cette troisième édition, nous pûmes entendre le guitariste Gérard Abiton. Celui que la prestigieuse revue d'outre manche Classical Guitar qualifie de « chef de fil des guitaristes français » nous offrit un concert d'une haute tenue artistique. Les Valses Poétiques de Granados pour commencer, donnèrent le ton. Cette œuvre originellement pour piano était interprétée presque dans son intégralité (il ne manquait qu'une valse) dans une transcription intransigeante du guitariste qui ne fait décidément pas dans la facilité. Asencio était probablement le compositeur le moins connu de ce répertoire dédié à l'Espagne, si ce n'est des guitaristes. Pourtant sa Suite Valenciana n'a pas grand chose à envier à ses contemporains. Seules pièces de ce programme enregistrées par Gérard Abiton, les trois morceaux de Rodrigo de ce soir furent particulièrement bien servis. C'est probablement les Variaciones sobre un tema (Folia de España) de Sor de Llobet qui surprirent le plus. Le thème et les deux premières variations sont, semble-t-il, de Sor. Les autres variations de Llobet relèvent de l'acte de bravoure. Un exploit technique au concert, qui exige une précision et une concentration impressionnante, tout particulièrement la variation sans main droite, uniquement par frappe des doigts de la main gauche. Nous nous demandons encore comment Gérard Abiton s'est sorti des pièges permanents de cette partition tout en préservant la musicalité sans laquelle ce type d'œuvre devient difficile à écouter. Une première partie particulièrement longue pour notre plus grand plaisir avant le programme Albeniz que nous avions pu découvrir aux Rencontres Internationales d'Antony en mars dernier. S'il est vrai que Gérard Abiton délivra une meilleure prestation dans ce répertoire à Antony, le niveau qu'il nous offrit à Caen n'avait pas à rougir. Un jeu toujours aussi investi, une interprétation toujours aussi pertinente et chaleureuse ravirent l'auditoire. Certes, le guitariste semblait fatigué mais la qualité musicale, l'attaque si surprenante de la main droite et la vélocité de main gauche convainquirent les spectateurs qui ne tarissaient pas d'éloges au sortir de ce récital.

Crédit photographique : © Lionel Hug

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