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Laurent Korcia sur tous les registres

Quand l'éclectisme est d'abord un plaisir

Apercevant dans le public Jean-Louis Aubert (qui chante Si vous l'aviez compris de Luigi Denza sur l'album Doubles jeux récemment paru chez Naïve), en guettant la présence de Julie Depardieu (qui partage la vie de au point d'apparaître ensemble, il y a quelques mois, dans une émission de Marc-Olivier Fogiel), avant même l'arrivée des musiciens sur scène, le public pouvait deviner que cette soirée du 9 décembre ne serait pas tout à fait dans les habitudes de Pleyel. La composition du programme conçu par Korcia, de Schumann à Grappelli en passant par Henryk Wieniawski et Michel Legrand, ne manquait pas d'éclectisme, mais le plaisir partagé entre les musiciens et avec le public, lui aura donné une cohésion généreuse qui, sur le papier, pouvait sembler incertaine.

Le programme s'ouvre sur la première Sonate pour violon et piano de Schumann : le violon de paraît lointain, puis détendu. Finalement dégagé des habituelles tentations de la virtuosité, le duo faisait preuve de souplesse, mettant la maîtrise de son jeu au service de la subtilité du trait. Cependant, le soliste ne perd aucune occasion pour racer une partition qui, peut-être, n'appelle pas autant de soulignements dans ses caractères. Et quand le violoniste fait entendre la première Etude-Caprice de Wieniawski, en duo avec Nemanja Radulovic, c'est un abord charmant qui peut sembler venir en contre-pied de la partition. La solidarité des deux interprètes, édifiantes et fougueuses dans les pages de Bartok, donnait de toute façon à la partition tout l'éclat qu'on en attend (ce qui est beaucoup dire, tant cette première Etude-Caprice mérite toutes les attentions).

Dernière pièce de la première partie, Contrastes de Bartok était sûrement l'une des plages les plus mémorables du récital. A la clarinette, chapitrait la partition, variant les rondeurs du souffle, si bien qu'il en faisait la narration plus ou moins suggestive. A force, il rendait ladite suggestivité plus problématique que de raison, pour incessamment renforcer la jouissance des amateurs de couleurs raffinées. Après l'entracte, la Sonate pour violon et piano en sol mineur de Debussy étant interrompue par un incident de lutherie, une reprise a permis une plus grande lisibilité des partis pris de Korcia : la distribution des timbrages, phrase après phrase, fait sa présence intermittente, tout de même joueuse et son dramatisme tout à l'avantage de la singularité de chacun des passages. Et si le deuxième mouvement laissait passer un lyrisme trop soucieux de ses galbures, dans le Finale, il repoussait tous les contours, les dépouillant pour mieux les explorer. Au contraire, la Pièce en forme d'Habanera de Ravel pouvait sembler souffrir du devoir d'opérer la transition entre Debussy et Michel Legrand. Pour autant que le Blues qui la suivait, était subtilement incertain, approximatif même, sans doute pour se faire plus étrange, au point de dissiper le soupçon que sa place dans le programme faisait peser sur ses traits.

De Legrand à Portal en passant par Reinhardt/Grappelli et Korcia lui-même, plus qu'une rupture de répertoire, c'est bien le changement de ton des applaudissements qui faisait preuve d'un conservatisme sinistre, séparant les registres, avec sifflements à l'appui (à partir de Reinhardt/Grappelli), là où la soirée entendait les rapprocher. Pour autant que le tango de Korcia pouvait, par exemple, ne plus s'en ressentir que mignonnement concertant, le travail des grains de chacun des interprètes rivalisait avec les pièces programmées en première partie. La Minor Waltz de Portal autorisant au violon quelques épanchements, par force de modulations bien placées pour cela, on ne pourrait reprocher à Korcia de s'y laisser aller, tant le public le plus bruyant tapait des pieds, à vouloir que l'idole en fasse autant. Cela dit, les deux rappels (de Portal et Grappelli) demeuraient plus soigneux que tapageurs.

Crédit photographie : © Lisa Roze/Naïve

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