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La leçon de musique d’Olivier Dartevelle !

Le , célébrant pour cette saison « Beethoven et l'héritage européen », avait invité son homologue luxembourgeois, le , pour une soirée placée sous le signe de l'année du « Luxembourg et sa grande région, capitale européenne de la culture 2007 ». Un programme résolument européen pour ce concert, puisque Bartók côtoyait aisément Brahms et… , vosgien de naissance, clarinette solo au Philharmonique de Luxembourg et Professeur au C. N. R. de Nancy !

Invité de la soirée, le , composé de solistes de l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg, ouvrait la soirée avec le Quatuor à cordes n°3 de Bartók, composé en 1927, le plus bref des six quatuors du compositeur, et le plus moderne aussi, tant il flirte avec l'atonalité. Le premier mouvement, Moderato, use de nombreux moyens de composition tonale… et atonale : la fugue, l'ostinato, les accords chromatiques, évoluant rapidement vers un Piu lento, puis un Lento où, là encore, la forme est libre tout en restant traditionnelle, puisqu'il s'agit d'une réexposition du thème initial. Le second mouvement, Allegro, se développe sur la base du contrepoint, mais trouve son expression la plus moderne dans l'usage systématique des chromatismes, du bitonalisme, ouvrant la voie à une Coda en relation avec la section la plus vive de l'œuvre, qui fait la part belle à la virtuosité des instrumentistes, en utilisant les trilles, les trémolos, les glissandi à répétition… Cette œuvre, qui fait en quelque sorte écho à la Suite Lyrique d'Alban Berg, dont la légende veut qu'elle ait lancé Bartók dans le Quatuor n°3, fut brillamment interprétée par les Louvigny : dès le premier mouvement, leur maîtrise technique d'ensemble, mais aussi la virtuosité personnelle des instrumentistes, s'affichent aisément. Sans perdre un instant la conviction et l'entrain qu'on leur connaît, ils y développent toute une gamme de couleurs, de nuances, de tempi et d'émotions surtout, nous plongeant quasiment du rire aux larmes ; une magnifique compréhension d'ensemble de l'œuvre, une grande homogénéité, couplée à une énergie qui n'en oublie pas la sensibilité : certainement la clé pour réussir un bon Bartók !

Après cette remarque interprétation, vint une création mondiale, le Double Quatuor d', qui présente lui-même son œuvre, non comme un octuor, mais comme une « rencontre entre deux quatuors », en l'occurrence ici, les Stanislas et les Louvigny. La pièce est constituée par « une suite de onze moments enchaînés s'articulant autour de diverses idées symboliques et musicales ». Il s'agit en fait d'une sorte de « poème de chambre », car l'œuvre de Dartevelle raconte la rencontre entre deux quatuors, passant de l'ignorance (dans le moment n°1, intitulé Solitudes, les Louvigny s'accordent pendant que les Stanislas jouent une ébauche de quatuor !), de l'ignorance donc, à la découverte de chacun, (Echanges, Intimités), au dialogue (Dialogues traditionnels) ; enfin, arrive l'échange (Emulations), qui se clôt par une Petite Symphonie Domestique (n°11), et une Coda, non intégrée au reste de l'œuvre, mais qui constitue bien selon le compositeur, une douzième partie. L'idée européenne est sous-entendue, dans la rencontre, puis l'union des langages et des cultures : les Quatuors comme représentants des spécificités nationales, coup de génie de Dartevelle ! Et pour ce faire, il utilise toutes les ressources des instruments à cordes, des pizzicati dans Intimités, aux violents accords, et une palette assez rare d'éléments d'écriture : tonalité, atonalité, variations de tempi… Ceci en fait donc une œuvre des plus intéressantes, explorant toutes les possibilités des instruments et de la composition, créant une pléiade d'atmosphères, et nous contant une belle histoire : la rencontre et la compréhension des cultures…

La leçon de musique d'Olivier Dartevelle ne s'arrête cependant pas là, puisqu'après l'entracte, il troque sa casquette de compositeur pour celle de clarinettiste, entouré des Louvigny, dans le magnifique Quintette pour clarinette et cordes de Brahms. Né de la rencontre de Brahms avec le clarinettiste Richard Muhlfeld en 1897, cette pièce s'ouvre sur un Allegretto exploitant un motif de Carl Philipp Emmanuel Bach, et dégageant trois grands thèmes, romantiques et lyriques, entre le violoncelle, la clarinette, puis l'ensemble du quintette, dans un rythme syncopé et très enjoué. L'Adagio impose une atmosphère de rêverie, tenue par la clarinette, magique ce soir là, d'Olivier Dartevelle, que rien n'effraie : il en utilise tous les ressorts pour servir au mieux Brahms, dans les inflexions dramatiques, les traits en arabesque, les quadruples croches… Après un court Andantino, s'annonce une Presto non assai (bissé par le public !), qui amène une palette d'éléments en mode mineur, du contrepoint à la syncope, dans une atmosphère de fête, de dynamisme, de gaieté. Là encore, Dartevelle, mais aussi les Louvigny, font merveille : aucun des interprètes ne dépareille, il suffit d'observer l'engagement d'Ilan Schneider, la virtuosité d'Illia Leporev, la fraîcheur du jeu de Fabian Perdichizzi, et la pureté du son de , pour comprendre que ces quatre-là sont faits pour le meilleur ! Un dernier Finale Con Moto clôt le concert, rappelant vaguement des effluves mozartiennes : thème partagé entre tous les instruments du quintette dans des variations à la fois d'atmosphères et d'effectifs : du solo au violoncelle, au tutti d'ensemble, en passant par l'union fragile et douce du violon et de la clarinette. La conclusion de l'œuvre se fait dans une magnifique plénitude, laissant une atmosphère comblée, paisible et sereine.

Un concert des plus réussis, qui nous a permis d'apprécier le talent des deux Quatuors, et aussi d'Olivier Dartevelle, remarquable « maître de musique » de la soirée. Les Stanislas, représentants nancéiens, ont visiblement parié juste en invitant leurs collègues luxembourgeois dans une rencontre des cultures et des musiques ! Un grand merci à eux, et un grand bravo à tous !

Crédit photographique : © Jorge Cruz

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