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Ginastera et Ben-Dor : la fougue latino bouillonnante

Ce n'est pas à proprement parler une nouveauté, puisque cet enregistrement datant de mai 1997 fut initialement édité sous le défunt label britannique Conifer Classics ; mais le fait qu'il soit maintenant repris sous étiquette Naxos, dans la série « Latin-American Classics », est tout récent, et cela pour notre plus grand plaisir, car il s'agit en l'occurrence d'un enregistrement exceptionnel. Il est d'ailleurs fort regrettable que l'excellent Conifer Classics qui disposait d'un catalogue très attrayant, tout comme la RCA d'ailleurs, ait été repris par BMG qui n'a jamais su mettre en valeur et distribuer correctement ses labels : si certains « majors » nous serinent constamment que le disque va mal, qu'ils s'en prennent d'abord à eux-mêmes car ils en sont les premiers responsables ; si apparemment, Naxos est en bonne santé, avec un répertoire qui sort constamment de la banalité, cela prouve qu'en toute chose, il y a un minimum de cervelle à faire fonctionner !…

Finalement, enregistrer Panambí (1937) et Estancia (1941) constitue pour l'Orchestre Symphonique de Londres une manière de retrouvailles, puisque dès août 1958, Sir Eugène Goossens dirigeait cette phalange dans la gravure pionnière des suites d'orchestre de ces deux ballets pour le label américain Everest. À la différence que dans le cas qui nous occupe, les deux ballets sont regroupés en un seul CD et dans leur version intégrale. L'Argentin (1916-1983) reste l'un des principaux compositeurs sud-américains de la génération suivant celle du Brésilien Heitor Villa-Lobos (1887-1959) et des Mexicains Carlos Chávez (1899-1978) et Silvestre Revueltas (1899-1940). Sa musique reflète la rumeur cosmopolite des villes argentines, tout comme le riche folklore indien de la vaste Pampa centrale. Ginastera avait tout juste 20 ans lorsqu'il composa la légende chorégraphique Panambí dont l'argument est basé sur une histoire d'amour et de magie supranaturelle des Indiens Guaraní du nord de l'Argentine ; la suite d'orchestre extraite du ballet propulse le nom de Ginastera à l'attention du monde musical lorsque Erich Kleiber en conduit la création américaine à la tête du NBC Symphony Orchestra en février 1946 ; le ballet complet, lui, fut représenté au Teatro Colón de Buenos Aires en juillet 1940, et sa musique est un mélange d'impressionnisme moderne et de primitivisme sophistiqué.

Le côté impressionniste est bien moins apparent dans Estancia, ballet en un acte et cinq scènes qui ne reçut sa création qu'en août 1952 au Teatro Colón. Mais Ginastera n'a pas attendu ce moment pour en tirer une suite en quatre mouvements – qui reste son œuvre la plus familière – créée également au Teatro Colón en mai 1943. « Estancia » étant le vocable argentin signifiant « ranch » ou « ferme de prairie », l'argument du second ballet de Ginastera concerne un jeune citadin éprouvant des difficultés à conquérir une fille de ferme qui le considère chétif et incapable de concurrencer les gauchos athlétiques du ranch ; le citadin parvient toutefois à gagner le cœur de la jeune fille en battant les gauchos sur leur propre terrain. La musique d'Estancia alterne scènes poétiques et danses frénétiques parfaitement adaptées à l'action plutôt rude du ballet basé sur le poème épique El Gaucho Martín Fierro de José Hernández, dont des parties sont superbement récitées et chantées par le baryton-basse Luis Gaeta pour cet enregistrement qui par ailleurs est une première mondiale dans son intégralité.

Avoir un chef féminin au pupitre est suffisamment rare pour ne pas être souligné ; quand on sait de surcroît que cette merveilleuse musicienne native de Montevideo fut la protégée de Leonard Bernstein et parle couramment espagnol, anglais, français, italien, allemand et hébreu, on ne peut qu'être acquis à la cause de , d'autant qu'elle s'est donné pour mission de défendre avec passion un répertoire qui lui tient vraiment à cœur, à savoir la musique latino-américaine. À l'écoute de ce CD, on ne peut qu'approuver la voie qu'elle s'est choisie, et souhaiter qu'elle nous fasse découvrir de nouveaux horizons musicaux. À l'instar de l'interprétation d'un Orchestre Symphonique de Londres véritablement galvanisé, la prise de son est l'une des plus extraordinaires que nous ayons entendues, ce qui n'est guère étonnant de la part des studios londoniens d'Abbey Road.

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