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Schumann servi par les doigts d’une étoile filante

L'overdose Mozart/Chostakovitch a presque fait oublier qu'on célébrait en 2006 les 150 ans de la mort de . L'authentique génie du romantisme allemand a certes eu droit à quelques articles et dossiers de presse, mais au final très peu de nouveautés discographiques. Avec ce troisième album paru chez Zig-Zag territoires, la jeune pianiste rend un hommage tardif mais évènementiel à celui avec qui elle a toujours ressenti des affinités musicales et poétiques.

Après deux premiers disques largement salués par la presse (consacrés à Jean-Sébastien et Carl Philip Emanuel Bach), prend congé du baroque tardif pour s'attaquer à une poignée d'œuvres fougueuses et juvéniles de Schumann. Mais avant de s'adonner au romantisme effervescent de la Fantaisie op. 17, elle a choisi d'ouvrir le bal avec une interprétation très personnelle du premier Prélude et fugue de Mendelssohn ; d'un toucher soyeux, sensuel, elle transforme en rêverie les magnifiques arpèges ruisselants du prélude, et propose pour la fugue une interprétation très délicate. Schumann, qui avait une grande admiration pour son contemporain, a vu dans ces Préludes et fugues la résurrection du génie de Bach à travers l'univers poétique des romances sans paroles.

Dans Schumann, est pleinement transportée par la passion et le pathos qui animent ces œuvres où la liberté d'imagination l'emporte sur la rigidité de la forme. On sent une vraie complicité entre elle et Schumann, comme si elle savait exactement où l'entraîner, et comment le faire sonner. Il n'y a pas de creux, pas de moments insipides ; tout est magnifiquement bien dompté et fignolé. Nul n'est besoin de connaître beaucoup d'interprétations existantes de la Fantaisie pour reconnaître à quel point celle de la pianiste est le fruit d'une grande musicienne. Le moment de grâce est atteint dans les « constellations » de l'adagio, avec dix minutes de pure émotion pour cette fantaisie dans la fantaisie, chef-d'œuvre romantique hanté par les discrètes réminiscences de l'Ave Maria de Schubert et de la Sonate « au clair de lune » de Beethoven…

Edna Stern a aussi choisi pour son disque les Variations sur le nom Abegg, une œuvre chantante écrite par un Schumann âgé d'une vingtaine d'années, dont l'ambition était à cette époque de devenir pianiste virtuose. On n'est pas loin de l'univers poétique de Chopin dans ces variations fraîches, fluides et pleines de charme, qui sont déjà le fruit d'un compositeur de grand talent.

Après ces moments tendres et insouciants, les Etudes symphoniques nous invitent à une toute autre ambiance, avec des variations « pathétiques » sur une marche funèbre ; un véritable « voyage à l'intérieur de la mort », pour reprendre le commentaire d'Edna Stern elle-même. La pianiste ne faiblit pas dans ces études, bien au contraire ; elle en dégage merveilleusement bien toutes les couleurs et toute la densité, avec un jeu puissant et une énergie inépuisable.

Au final, voilà un grand disque d'une grande pianiste, impressionnante de maîtrise et de musicalité d'un bout à l'autre. On en réclame encore !

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