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Michel Lysight, de la dérive des sentiments

Entre autres activités, dirige l'ensemble de musique contemporaine « Nouvelles Consonances ». Il fait part de ses influences majeures de la sorte : « la découverte de musiciens tels que ou Arvo Pärt sera essentielle pour l'évolution de [mon] langage personnel », ce qui en fait une des figures de proue du courant post-moderne « Nouvelle Musique Consonante » en Belgique.

Ceci étant, ne déroutons pas l'auditeur potentiel découragé par l'appellation même de « musique contemporaine » ! Lysight s'associa par exemple aussi à Piazzolla et Galliano pour deux albums où avant-garde ne voulait en rien dire expérimentations ternes par trop sibyllines. Indiquons également qu'on peut retrouver sur le présent album certaines pièces déjà enregistrées avec des formations autres, telles clarinette et quatuor à cordes. Comment alors ne pas souligner le mariage heureux entre instruments dans les compositions de Lysight, tels que clarinette et piano ici, ou harpe, cor, flûte, avec piano.

À l'écoute des pièces composant la première moitié du CD, viennent presque irrésistiblement à l'esprit des images, mais de quel ordre ? Images floues, certes confuses, peut-être contradictoires… L'expression rythmique et mélodique évoque quelque chose qui tiendrait de l'errance, de la dérive des sentiments dans un entre-deux qui ramènerait du monde extérieur à la vie intérieure, tout en recherchant à recouvrer une posture au monde – il faudra bien trouver une signification au titre général Enigma ? –, une « course éperdue » indique la notice. Le mariage des instruments est aussi étonnant que réussi, avec l'accompagnement du piano qui se révèle être plus que cela, la pierre d'achoppement même de la mélodie, ce qui donne encore sens à la course effrénée. Course faite, à coup sûr, d'égarements et d'errements comme autant de façons postmodernes ; mais pas non plus radicalement déconstruction, décomposition, rupture sans renaissance. Ce pourquoi on imagine tout à fait bien les trois premières œuvres au service d'un court métrage ou d'un film d'animation d'avant-garde.

Explorations musicales résolument postmodernes donc ; seule la plage 1 et la plage 14, le dernier mouvement, Andante, d'An Awakening, semblant clore le premier cycle de l'album, pourrait rappeler encore un post-romantisme avec la mise en avant de la mélancolie – cet état d'âme bien connu, si souvent exposé en musique, à comprendre comme une des formes, si ce n'est la forme privilégiée, de la « conscience moderne » en tant que livrée, abandonnée, à elle-même.

Si l'on veut bien accorder au titre de l'album le sens d'« énigmatique », ne peut-on soutenir aussi l'idée que l'agencement des pièces mène d'une sorte d'éloge de la faiblesse (introspection) et de la perdition (recherche de soi) à un éloge des sens avec l'exploration mélodique proposées avec Palimpsestes et Trois croquis ? La première, unique pièce pour piano du CD, sous le signe de l'approche contemporaine et de l'improvisation marquante de son dernier mouvement comme d'un aboutissement quasi lyrique. La seconde, plus lumineuse encore, comme un hommage à l'impressionnisme invitant à se ravir de mille touches de couleurs, comme autant de satisfactions sensorielles.

Les deux dernières œuvres, remarquables également par le mariage expressif des instruments, laisseront penser à des morceaux plus soigneusement écrits, certes, (au sens d'une musique contemporaine se cherchant une expressivité) ; mais ne laisseront pour autant indifférents ! Pour preuve l'écriture en canon dans Homage to Fibonacci, menant d'une intensité croissante à l'effet de surprise qui ouvre sur un final aussi épatant qu'exubérant.

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