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Carl Philipp Emanuel Bach par Andrew Manze

Les Symphonies Wq 183 « à douze voix obligées » créées en 1776, sont sans doute le sommet de la production orchestrale du fiston Bach, œuvres fantasques parfois jusqu'à l'extravagance et pourtant pleines de poésie. À ce titre, elles ont bénéficié d'une discographie peu fournie mais d'excellente tenue, depuis Raymond Leppard et, surtout, Hartmut Haenchen (Capriccio, dans un coffret à petit prix entièrement consacré au compositeur) sur instruments modernes, jusqu'à Gustav Leonhardt et Ton Koopman (Erato), la référence jusqu'ici, versant « baroqueux ».

Après Koopman, également dynamique et vif mais sans doute plus brouillon, on est frappé d'entendre dans ce disque le moindre détail des chevauchements et des complexes jeux rythmiques grâce à un orchestre d'une incroyable précision servi par une prise de son très claire – alors que celle du disque Erato était assez confuse. Les mouvements vifs sont enlevés dans une sorte de bouillonnement continu, syncopé, où de violents contrastes dynamiques engendrent une tension dramatique irrésistible. Curieusement – ou pas, c'est selon – en accentuant ainsi ce que ces symphonies, alors d'un modèle déjà dépassé, ont de plus moderne, Manze les rapproche beaucoup des symphonies Sturm und Drang de Haydn, légèrement antérieures.

Ce style coup de poing a son revers et, si l'on est conquis par la vigueur de l'ensemble, on ne peut s'empêcher de trouver certains phrasés à la limite de la sécheresse et les couleurs de l'ensemble, surtout les cordes, bien râpeuses et pas toujours aussi variées qu'on l'attendrait. Curieux contraste, d'ailleurs, avec le style du prédécesseur de Manze à la tête de l'Academy, Christopher Hogwood, qui avait signé une version bien plus mesurée et colorée, mais sans doute moins vivante, des Symphonies Wq 182 (Oiseau-Lyre). On ne croirait jamais entendre le même orchestre – dont, d'ailleurs, tous les membres ont changé, et le continuo de clavecin, très présent et plus bavard encore que chez Koopman – un exploit ! – pourra gêner les mélomanes allergiques aux cordes pincées.

On retrouve dans le Concerto les mêmes qualités orchestrales, mais le violoncelle bien pâle d'Alison McGillivray est loin d'égaler le style flamboyant et la riche sonorité d'Anner Bylsma (Virgin).

Bref, difficile de choisir entre , représentant le courant baroque actuel hyper expressif et même expressionniste, ce qui convient bien aux œuvres mais leur enlève une part de poésie, et Koopman, plus fin, moins « rentre-dedans », mais sans doute pas assez précis. Ce disque, sans doute partial, offre en tout cas une expérience passionnante, en attendant une hypothétique version idéale qui marierait ces qualités contradictoires.

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