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La perfection inachevée

Les frères Capuçon et Franck Braley

Certaines œuvres du répertoire sont la promesse de moments intenses d'émotion musicale, d'instants magiques de complicité intime, de sensations immédiates au-delà des notes. Certains interprètes, réputés à la fois pour leur jeu en tant que solistes mais également pour leur complémentarité lorsqu'ils sont en trio, s'annoncent comme la garantie d'œuvres sublimées. En programmant les Trios opus 99 et 100 de Schubert par les frères Capuçon et , la MC2 de Grenoble proposait une soirée dont on attendait la fusion totale avec la musique, l'univers de Schubert à l'état pur. Les œuvres avec leur formation instrumentale si propice à l'expression intense sans effusions outrancières, les interprètes, toutes les conditions étaient réunies. Peut-être trop. Lorsque l'on attend trop d'une soirée, on court le risque d'être déçu par une interprétation pourtant irréprochable … mais en-deçà de la magie impalpable espérée.

La soirée débutait tout naturellement par le Trio n°1. Les frères Capuçon ont une telle complicité musicale, que toutes les phrases jouées en même temps par le violon et le violoncelle semblent émaner d'un seul et même instrument. , chambriste hors pair, insère les sonorités si perlées et délicates de son piano au creux des phrases des cordes frottées, leur donnant à la fois relief et unité. La complicité musicale des trois artistes est évidente. Dans le mouvement lent, si fin et intense, les instrumentistes semblent faire flotter délicatement les sons dans la salle, tandis que le troisième mouvement, léger et dansant comme il se doit, est habité d'une énergie interne de bout en bout. Les contrastes de dynamiques sont soigneusement mis en valeur, jusqu'au plus petit accent. D'où vient, alors, cette sensation d'inabouti qui persiste après la dernière note ? Pourquoi était-il difficile de rester dans la musique, sans laisser son esprit s'échapper durant tout le trio ? Tout y était … peut-être manquait-il juste l'envie de donner, de partager. Les trois interprètes semblaient heureux de jouer cette musique ensemble, mais leur bonheur musical semblait prisonnier de leur petite sphère scénique. On pressentait la magie sur la scène, mais elle ne gagnait pas la salle. La musique était interprétée mais pas offerte. Certes, il faut être bien exigeant pour reprocher un tel détail … mais quoi de plus frustrant que d'assister à un concert dont on se sent le témoin plus que l'invité ? A la fin de cette première partie, les trois artistes ont d'ailleurs quitté la scène en échangeant entre eux quelques remarques, donnant au public l'impression d'être exclu.

Cependant, les sensations tant attendues sont enfin arrivées en deuxième partie de soirée. Le Trio n°2 était habité et vibrait de la première à la dernière note. Le public, pris à bras le corps par les instrumentistes, a enfin pu savourer le jeu et les choix d'interprétation des frères Capuçon et de . Les contrastes de climats, de dynamiques, de rythmes sont rendus de façon saisissante. Bien que la plénitude du son et l'énergie intrinsèque des mouvements les plus extravertis soient rendus avec un brio envoûtant, ce qui reste en mémoire dans ce second opus est la délicatesse et la subtilité recherchées à chaque instant. Le premier mouvement débute par un solo de violoncelle accompagné par le piano. L'occasion pour d'aller chercher chaque note, chaque son avec le plus de finesse, de raffinement possible. La suite ne démentira pas ce début prometteur. Justesse, précision, complicité et mise en valeur des contrastes semblent être les maîtres-mots de cette interprétation, dont certains choix peuvent cependant surprendre : très peu de respirations entre les phrases, ce qui crée parfois chez l'auditeur une sensation d'asphyxie ; légère différence de phrasé lorsqu'un même motif est joué tour à tour par le violon puis le violoncelle, ce qui, passée la première surprise, donne une richesse et un relief particuliers à l'œuvre.

Tout dans ce concert était finalement surprenant et irrégulier : un premier trio certes soigneusement interprété mais pas offert, un second trio saisissant mais parfois asphyxiant. Tout était irrégulier, excepté le jeu de Frank Braley, léger, délicat, dynamique, constamment en osmose avec les deux autres musiciens, véritable ciment du répertoire. Le public était très disparate, où se côtoyaient la « bourgeoisie intellectuelle » de Grenoble et des mélomanes peu habitués aux salles de concert. La confrontation de ces populations a d'ailleurs donné naissance à des situations relativement cocasses qui mériteraient volontiers un autre article. Signalons simplement que si certains étaient enthousiastes, d'autres sont partis dès la fin du bis.

Crédit photographique : DR

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