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La trop belle voix de Dame Felicity Lott

Très attendue, cette Voix Humaine déçoit. Incontestable star de l'art lyrique, Dame n'apparaît pas faite pour ce théâtre d'émotions déchirées et déchirantes.

La voix de la soprano britannique est trop belle, trop sophistiquée pour exprimer les tourments de cette femme abandonnée par son amant. Plus qu'un opéra, qu'un chant, c'est du théâtre que ce texte demande. Du théâtre de genre, où la voix n'est plus aussi chantée mais où le mot, l'intention, l'expression prend toute sa valeur. On ne peut entendre ce drame de la rupture et de l'abandon sans se souvenir de Simone Signoret ou Anna Magnani. Elles ne chantaient pas, certes, mais la voix était là. Présente, envahissante, angoissante, délirante. Avec , même si son jeu scénique est souvent juste, la voix n'est pas ce qu'on attend de cette femme détruite. La mise en musique de Poulenc de la pièce de n'est pas là pour en aplanir le texte, mais bien au contraire pour l'exploser. À l'Opéra de Lyon, pour ne pas couvrir la voix de , le chef Juraj Valcuha contient son orchestre, effaçant ainsi les aspérités musicales que Poulenc pique dans le texte de Cocteau.

Si le décor (Chantal Thomas) prend part aux premiers accents de l'œuvre, si cette grande fenêtre ouverte sur une vue du Lyon nocturne est très belle, la multiplication des changements d'ambiance n'apporte rien à la dramaturgie sinon de noyer l'incapacité de Dame Felicity Lott à transcender une œuvre parmi les plus dramatiques du théâtre lyrique contemporain. Dommage !

La mise en scène un peu kitsch de La Voix Humaine faisait craindre le pire pour Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartok. Si la direction d'acteurs se borne à déplacer les deux protagonistes d'un côté à l'autre de la scène, le décor (Chantal Thomas) et les éclairages (Joël Adam) participent activement au drame. Un mur de pierres beiges avance du fond de scène vers les deux protagonistes, bientôt tournant sur eux-mêmes, les éléments de décors se meuvent en un ballet ondulant et angoissant, enfermant bientôt les acteurs entre les parois de l'étrange château. Seules issues, les portes s'ouvrent une à une pour laisser place à la découverte de l'âme profonde de Barbe-Bleue. À force de mouvement de ce décor dans tous les sens, le symbole d'enfermements et d'ouvertures successifs qu'il représentait finit par s'essouffler et ne parvient que difficilement à tenir la distance de l'angoisse grandissante, jusqu'à l'ouverture de l'ultime porte.

Heureusement les deux protagonistes révèlent le drame au travers de leurs vocalités exacerbées. La voix brune d' (Judith) assure le feu de son abandon amoureux dans une musicalité d'exception devant un (Barbe-Bleue), volontairement froid, convaincant dans un rôle qu'il domine. Se jouant des éclats orchestraux imposés par la baguette vigoureuse de Juraj Valcuha, les deux chanteurs survolent aisément la fosse d'orchestre et s'envolent vers leurs destinées tragiques, l'ombre et la nuit retombant sur la solitude de Barbe-Bleue.

Crédit photographique : © Jean-Pierre Maurin

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