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Kurt Graunke, ou la musique à Munich

Les réputations de certains musiciens ont parfois la vie dure : qu'évoque le nom de dans l'inconscient des mélomanes ? Un chef d'orchestre allemand qui a créé en 1945 son propre ensemble – le Symphonie-Orchester Graunke – avec lequel il a enregistré, essentiellement et brillamment, des classiques dits « légers » et qu'il a laissé à d'autres chefs le soin de diriger pour EMI, dans quantité d'opérettes de langue allemande, dans des versions définitives : ce sont tour à tour Franz Allers, Franz Bauer-Theussl, Willy Mattes et Carl Michalski qui accompagnaient des solistes aussi prestigieux que Nicolaï Gedda, Erika Köth ou Anneliese Rothenberger dans les œuvres de Paul Abraham, Leo Fall, Emmerich Kálmán, Franz Lehár, Carl Millöcker, Oscar Straus et autres Carl Zeller qui ont bénéficié de cet ensemble d'élite, devenu en 1990 l'Orchestre Symphonique de Munich.

Avec plusieurs centaines de films à son actif, tant en Allemagne qu'à l'étranger, c'est cette phalange qui enregistra en 1958, sous la direction de Graunke lui-même, la Grand Canyon Suite de Ferde Grofé pour la bande sonore du documentaire de Walt Disney avec qui il avait déjà collaboré en 1946 pour Make Mine Music, cette superbe mais peu connue compilation de dessins animés qui contenait, par exemple, le célèbre Pierre et le Loup de Prokofiev. Graunke fut également l'orchestrateur de la musique de La Famille Trapp en 1956, et Miklós Rózsa dirigea le Symphonie-Orchester Graunke dans plusieurs de ses œuvres. Plus récemment, en 1991, ce fut Le Silence des Agneaux qui reçut les honneurs de cette formation, dorénavant nommée Orchestre Symphonique de Munich. Voilà donc et son orchestre catalogués !

Mais c'est un peu court et aller trop facilement un peu vite en besogne ! Saviez-vous que le chef d'orchestre (1915-2005) se double aussi d'un compositeur remarquable ? Hormis des pièces de musique légère ou de circonstance, il a produit, entre autres, d'amples Symphonies au nombre de neuf (un nombre fatidique, décidément !), un Concerto pour violon (1959), un Quatuor à cordes (1974), un Quintette à vent (1994), des Mélodies, le tout publié en partitions et en CDs par les « Edition-Sedina » qu'il a créées et qui sont disponibles sur Internet.

« La musique était sa vie. Il a enrichi avec elle beaucoup de cœurs. Par sa musique, il continue à vivre », dit sa fille Gabriele Graunke qui a repris en charge les publications de son père ; et il est vrai que le rôle de Kurt Graunke fut instrumental dans la vie musicale munichoise : rappelons que, hormis son propre orchestre, il a également participé à la fondation en 1949 du célèbre Orchestre Symphonique de la Radiodiffusion Bavaroise, aux destinées duquel ont présidé les légendaires Eugen Jochum et Rafael Kubelik. Les deux CDs qui nous sont proposés ici font partie d'un ensemble de huit disques séparés comportant les neuf Symphonies de Kurt Graunke ainsi que le Concerto pour piano de Mitja Nikisch. Ces enregistrements sont issus des archives de la Radiodiffusion Bavaroise et sont réalisés avec l'Orchestre Symphonique Graunke, à l'exception du dernier consacré à la vaste Symphonie n°9 (près de 70 minutes) où Kurt Graunke dirige l'Orchestre Symphonique de la Radiodiffusion Bavaroise.

Si les Symphonies n°7 et n°9 – cette dernière, à coup sûr le testament musical du compositeur – sont de forme traditionnelle en quatre mouvements, leur langage est très personnel, sorte de synthèse des apports de Karl Amadeus Hartmann et de la Seconde École de Vienne, sans que pour autant Kurt Graunke, d'une nature essentiellement lyrique, soit inféodé à la technique sérielle : il s'agit surtout d'une question d'ambiance relativement sévère, et de sonorités orchestrales plutôt compactes qui évoquent l'univers des musiciens de cette Ecole, le tout néanmoins tempéré par la sensibilité du compositeur au lyrisme inné. La contribution de Graunke à la symphonie est donc de taille et profondément humaniste, tout comme celle de Karl Amadeus Hartmann ; elle ne doit donc en aucun cas être passée sous silence ou même sous-estimée, car là réside la plus intime et profonde personnalité du compositeur, hormis le fait qu'elle constitue un apport non négligeable à la symphonie germanique.

Nous avons déjà évoqué Mitja Nikisch (1899-1936), fils du célèbre chef d'orchestre hongrois, à l'occasion d'un album Charles Münch où se produisait Kostia Konstantinoff, son ami d'enfance, qui créa son Concerto pour piano le 6 avril 1941. Mitja Nikisch était célèbre dans l'entre-deux-guerres comme chef de son orchestre de danse à Berlin, ce qui ne l'empêcha pas d'écrire cette œuvre « sérieuse » dédiée à son épouse Barbara, en bon élève supposé de Busoni. Il mit du temps à l'achever, ce qui explique probablement les différences stylistiques qui l'affectent, et c'est sur son lit de malade qu'il y mit le point final, tristement avant de se suicider à l'âge de 37 ans… Les deux premiers mouvements, les meilleurs, un Andante e Romanza de caractère rêveur, méditatif, et un Scherzo léger, gershwinien, doivent beaucoup à Rachmaninov, que Mitja Nikisch admirait sans réserve ; le Finale Phantaisie Pathétique (sic) ajoute quelques traits dissonants à un discours au demeurant plus banal et bavard. Sans être une œuvre inoubliable, ce Concerto reste l'unique témoignage d'un musicien sincère qui a probablement subi le lourd fardeau de la célébrité d'un père tout en essayant de l'égaler. L'œuvre est ici interprétée avec toute la conviction possible par l'excellent pianiste anglais lors d'un concert public donné en avril 1988 à Munich, et il est fort probable qu'il s'agisse ici de la seule version existante.

Rappelons que ces enregistrements sont produits en collaboration avec la Radiodiffusion Bavaroise dont les archives contiennent assurément des trésors inestimables. À visiter : http : //www. edition-sedina. de/cds/index. html

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