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Frank Martin par Daniel Reuss : Le vin de messe herbé

Enfin une nouvelle version du Vin Herbé, après celle, historique, réalisée avec le compositeur en 1962. Chaque commentateur de cette œuvre s'évertue à souligner la beauté profondément émouvante de cette version de Tristan et Iseut, sans que celle-ci émerge réellement de l'ombre dans laquelle elle reste inexplicablement plongée. Avec des moyens radicalement différents du Tristan und Isolde de Wagner, développe pourtant avec une équipe réduite de huit solistes, douze choristes et huit musiciens une force d'émotion et d'évocation qui tient la comparaison avec l'opéra mythique.

Oratorio profane, Le vin herbé n'est pas un opéra. Il passe néanmoins magnifiquement à la scène, comme les Parisiens avaient pu le mesurer en 1996 à l'amphithéâtre de l'opéra Bastille. Le caractère immortel du thème de cet amour impossible est renforcé par la qualité du texte, adapté du Roman de Tristan et Iseut de Joseph Bédier, spécialiste français du moyen-âge. Ce dernier s'était attaché à rester au plus près des textes du XIIe siècle de Béroul et d'Eilhart d'Oberg, dans lesquels Tristan et Iseut sont les victimes d'un philtre d'amour qu'ils ont bu en toute innocence, ignorants qu'il avait été préparé par la mère d'Iseut pour qu'elle reste attachée au roi Mark. « Il semblait à Tristan qu'une ronce vivace, / aux épines aiguës, aux fleurs odorantes, / poussait ses racines dans le sang de son cœur, et par de forts liens enlaçait au beau corps d'Iseut / son corps et toute sa pensée et tout son désir ». Cet amour ensorcelé, s'il exonère les amants de leur responsabilité, n'enlève rien au tragique de l'histoire.

La version réalisée par est de grande qualité, et pour ceux qui ne connaissent pas l'enregistrement fondateur dirigé par Victor Desarzens, peut être considérée comme splendide. Velouté, soyeux des chœurs, homogénéité des solistes, solennité sans raideur dans la très belle acoustique de la fameuse Jesus-Christe Kirche, cet enregistrement a vraiment de quoi séduire. Seulement voilà, le doublement des effectifs choraux par rapport aux indications du compositeur, la sonorité réverbérée, le lissage des contrastes et la déclamation biblique, tout concourt à tirer ce Vin herbé vers un oratorio religieux. On devrait être dans une salle de château médiéval, en seigneur écoutant un conte de troubadours, on se retrouve à entonner un De Profundis. La version Desarzens avec au piano est moins réussie à bien des égards que ce nouvel enregistrement, elle constitue néanmoins un véritable moment de théâtre. Et elle reste sinon inégalable du moins irremplaçable pour le Tristan d'Eric Tappy, qui irradie littéralement toute l'œuvre, avec un naturel et une simplicité bouleversante. Cet enregistrement épuisé peut encore se trouver auprès de la Société Frank Martin.

Souhaitons que poursuive son cycle entamé avec la Messe pour double chœur, il a les qualités pour rendre justice aux œuvres religieuses du compositeur, Golgotha en premier lieu, le Requiem, In terra Pax, le Mystère de la Nativité ou encore Pilate.

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