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Archets de Paris et pois de Boullongne

Le parcours exceptionnel du Chevalier de Saint-George à la fin de l’Ancien Régime et durant la Révolution en fait un personnage aussi romanesque que révélateur de son époque et de la nôtre.

Son père était lui-même exceptionnel, qui allait permettre l’éclosion du talent de son fils. Après avoir fait fortune comme colon en Guadeloupe grâce au travail des esclaves, il s’installa en France avec une femme noire et Joseph, leur fils métis, et donna à ce dernier une éducation réservée à la noblesse. L’enfant prodige devenu adulte excellera dans l’art de l’escrime, de l’équitation, mais aussi du violon et de la direction d’orchestre. Succédant à Gossec à la direction du Concert des Amateurs en 1775, il en fera en deux ans la « meilleure formation de France et peut-être d’Europe » selon l’Almanach musical. En 1777, Leopold Mozart tentera vainement de convaincre son fils alors en séjour à Paris de se faire connaître auprès de cet orchestre. Auteur de 215 œuvres de musique de chambre, symphonies concertantes et même d’opéra, bel homme mesurant 1, 80 m, le Chevalier était la coqueluche de la cour jusqu’à ce que la reine Marie-Antoinette ambitionne de le nommer directeur de l’Opéra royal. Cette fois il rencontre l’échec, en butte à une polémique raciste qui lui interdira l’accès à l’institution et le précipitera au sein des cercles progressistes. Il devient le premier franc-maçon noir, rejoint la Révolution et prend comme colonel la tête d’un régiment de volontaires noirs de l’armée française. Il arrête l’armée contre-révolutionnaire du général Dumouriez à Lille, mais passera onze mois en prison sous la Terreur. Libéré à la chute de Robespierre, il redevient une personnalité musicale et célèbre jusqu’à sa mort en 1799.

Depuis une quinzaine d’années, la vie et l’œuvre du Chevalier de Saint-George sont explorées de manière systématique, notamment sous l’impulsion d’Alain Guédé, journaliste au « Canard Enchainé » et de son association « Le Concert de Monsieur de Saint-George » – cela explique la contribution de Cabu qui croque le compositeur en veste de brocart rouge à pois blancs. Cette réhabilitation ne va pas sans polémique autour du rôle réel que joua le Chevalier, ces débats animés ayant plus à voir avec son rôle politique que son talent musical. Les œuvres présentées ici font indéniablement preuve d’un grand métier, mais peineraient à convaincre hors de leur contexte historique. Si le surnom donné au chevalier de Saint-George de « Mozart noir » fait référence à son talent musical, il est trop flatteur pour ne pas le desservir. Les deux musiciens avaient du moins en partage les valeurs de fraternité de la franc-maçonnerie face à des monarchies devenues archaïques.

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