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Mozart incompris !

Grande Messe en Ut mineur

Trop vite, trop plat, trop lyrique. Voilà résumée en quelques mots cette soirée de musique sacrée autour de Mozart en l'église du Palais. Le style de Jeremy Bines s'est imposé à l'ensemble du concert au détriment de Haydn et de Mozart. Pourtant, ce jeune chef anglais avait à sa disposition un ensemble musical d'une couleur assez rare. Le chœur du festival est une belle initiative de . Il s'agit d'associer les Bellilois au festival par leur participation au chœur pour une série de concert de musique sacrée. Composé de Bellilois, mais aussi de choristes de tout le « continent » en résidence secondaire sur l'île, le chœur se forme au début de l'été après avoir travaillé individuellement toute l'année ou en master classe plusieurs fois dans l'année. Epaulés par les jeunes du « choro lyrico », les choristes de tous âges à force de travail et de passion peuvent s'enorgueillir d'un répertoire de haute volée qu'ils assument globalement fort bien, même si des fins de phrase relâchées trahissent légèrement leur amateurisme. Les voix sont bien posées, parfois un peu forcées dans les aigus, effacées dans les basses, mais résolument assurées. Malheureusement, Jeremy Bines a choisi un tempo très rapide, trop rapide tant pour la capacité des choristes et pour la masse du chœur que pour l'interprétation elle-même. Ce choix a définitivement marqué et handicapé la soirée. Les choix d'interprétation de Jeremy Bines sont, en effet, discutables. Le Te Deum de Haydn était une course poursuite sans distinction de nuances, avec une orientation très baroque où l'on cherchait réellement l'apport classique de Haydn. La rapidité rendait les attaques très approximatives, tandis que contretemps et syncopes se chevauchaient de façon maladroite, pour aboutir à un final qui aurait sans doute ravi Lully, mais certainement pas Haydn. Comme pour ce dernier, les deux œuvres mozartiennes qui suivirent pâtirent d'une certaine confusion des genres.

Si l'on pouvait tout à fait admettre une interprétation plus lyrique pour l‘Exultate, jubilate, la Grande Messe en Ut mineur est, quant à elle, résolument attachée à la dimension religieuse des œuvres de Mozart et non au style « divertissement » des ses opéras. Trop présents dans Haydn, les aspects baroques de l'Exultate, jubilate sont très peu mis en valeur, voire même fondus dans l'ensemble d'une ligne mélodique finalement très cursive. L'Alléluia final trop rapide, manque de puissance, tout en étant vécu avec beaucoup de profondeur par la jeune soprano toutefois très peu à l'aise dans ces vibratos trop secs et pour lesquels, elle n'est visiblement pas prête. Ce qui est d'autant plus dommage qu'elle s'accordait très bien avec l'orchestre dans un équilibre paisible. Au demeurant ce fut une des qualité de la soirée, l'équilibre entre l'ensemble des pupitres ne s'est jamais démenti, exception faite du Gratias agimus tibi où l'orchestre trop marqué était omniprésent, ou encore dans le Qui Tollis dans lequel les cordes se sont trop imposées. La Grande Messe fut, dans l'ensemble, particulièrement décevante, non dans la qualité musicale, mais dans l'interprétation. Dès les premières notes, on est gêné par le tempo du Kyrie. Sa rapidité fait perdre toute profondeur à l'œuvre en lui retirant toute respiration. C'est une longue course poursuite au bout de laquelle on arrive essoufflé et déçu. Alors que l'entrée du chœur était toute en finesse et délicatesse, le eleison final finit empâté et approximatif… les choristes sont à bout de souffle. La respiration de l'âme que suggère la partition est littéralement étouffée dans un gloria endiablé qui est plus lâché que retenu sur le final.

Toutefois, malgré ce tempo, l'enchaînement des voix dans le Qui Tollis, nous offre un peu de cette respiration de l'âme qui s'élève par touche successive. Le miserere nous fait malheureusement vite retomber par son manque de justesse. Mais nous ne serons pas restés longtemps sur les hauteurs avec le quoniam interprété comme un divertissement léger de salon. Là, on se trompe de Mozart ! A cet endroit, du reste, les solistes s'oublient et entrent à leur tour dans une rixe musicale sans aucun aspect religieux. La rixe est telle que c'est un véritable concours de cris ! Si le Jesu Christe était plus apaisant et plus proche de cet esprit religieux mozartien, il manquait encore quelque chose pour reprendre cette respiration initiale qui doit conduire l'auditeur par la musique à la contemplation de Jesu Christe. Si le credo était trop festif et encore une fois trop lyrique, il avait au moins le mérite de traduire un aspect festif de la foi que Mozart voulait souligner. Il semble que le chef comme les solistes aient regardé cette œuvre comme une simple pièce du répertoire, sans chercher à entrer dans ce que Mozart avait voulu dire à travers cette œuvre. Ainsi, l'Incarnatus est, d'une émotion contemplative et révérencieuse s'est transformé en une envolée lyrique, un concours de voix qui confinait plus aux douleurs de l'enfantement. Quant au sanctus, la dimension ternaire et donc trinitaire du Dieu trois fois saint semble totalement absente au point que l'on a l'impression que le chef ne sait pas quoi faire de ses deux accords qui chaque fois suivent les sanctus pour former un rappel trinitaire. Un concert donc en demi teinte, avec de bonnes choses prises individuellement, mais gâchées par une interprétation discutable et des voix féminines peu adaptées et surtout très loin du Mozart religieux.

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