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Un Scriabine soigné … et énergique

Est-il plus confortable d'enregistrer des pièces connues des pianistes – et pianophiles – mais controversées, que des morceaux inconnus ? Certes non ; et une telle tâche demande forcément à l'interprète de prouver et séduire, bien plus que dans n'importe quel autre répertoire. Défi relevé de façon inégale mais malgré tout convaincante par .

On ne reviendra pas sur l'identité musicale si particulière d', coincé entre romantisme et mysticisme, vénéré des uns et méprisé par les autres. Les 24 Préludes op. 11, construits sur le modèle de ceux de Chopin, sont le reflet de cette personnalité parfois difficile à cerner. Mais quoi qu'on pense de leur compositeur, ils prouvent indéniablement qu'il maîtrisait à merveille l'art de la miniature musicale. En quelques notes, un univers musical est esquissé, et un quelconque développement ne contribuerait qu'à affadir le discours. Le défi pour l'interprète n'en est que plus grand : il s'agit de passer sans cesse de la frénésie pianistique aux quelques sons égrenés dans le silence, de la délicatesse magique au lyrisme grandiloquent. Sous les doigts de , ces Préludes, d'intérêt parfois très inégal, prennent toute leur saveur. Parce qu'en quelques notes il donne vie à chaque climat avec une simple évidence, il parvient à faire oublier le scepticisme que pourrait inspirer certaines pièces.

Le reste de l'enregistrement ne dément pas l'impression laissée par ces Préludes : nous livre là un enregistrement tout à fait honnête, où délicatesse et profondeur alternent avec un grand soin, un grand respect de ces pages. Mais ce CD ne serait que cela, honnête et propre, presque lisse (si un tel terme pouvait décemment être utilisé pour la musique de Scriabine) si la Sonate n°5 op. 53 et le deuxième Poème op. 69 ne donnaient au pianiste l'occasion de nous montrer ses vraies qualités d'interprète. Peter Laul excelle dans les pages plus rythmiques, plus modernes aussi.

La Sonate n°5, où les passages quasi-sauvages qui balayent le clavier alternent avec des sonorités d'une délicatesse saisissante, où les climats se succèdent dans un élan continu, est interprétée avec une maîtrise et une vie intérieure impressionnantes. On se laisse immédiatement prendre dans le flot continu de sonorités ; on se laisse happer par l'énergie constante qui émane de la juxtaposition des élans rythmiques tellement nerveux qu'ils en deviennent presque durs, des envolées lyriques, des sons égrenés dans l'aigu. Hymne au piano, hymne à la musique de Scriabine.

De la même manière, dès les premières notes du deuxième Poème op. 69, la précision et le toucher incisif de Peter Laul saisissent et convainquent … fascinent et séduisent. Ces deux grands moments de musique font volontiers oublier la propreté parfois quasi-scolaire des autres pièces.

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