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Le trombone français serait-il le plus sérieux du monde ?

La catégorie « musique française » est bien sûr discutable en tant que catégorie. On ne sait pas toujours quel libéralisme nous amène à respecter, sans autre forme de procès, les disques qui affichent le terme « français » pour compte de consistance. Qui plus est après les déconstructions socio-musicologiques autour de la musique française, assez nombreuses ces dernières années (cf. Faure et Vivès, CNRS Editions – 2000 – par exemple). Et la bienveillance spontanée que nous prêtons aux exécutants, peut alors se traduire par une sorte d'impunité musicologique assez vite enlisante. Certes, sous l'appellation « L'Art du Trombone Français », Jean Raffard a enregistré des pièces dont le point commun réside probablement plus dans leur manque de popularité que dans la nationalité de leurs auteurs. Tarte à la crème ou simple problématique d'archiviste, la question fait toujours potiche. Et nous peinons à trouver une unité émotionnelle de Tomasi à Boutry en passant par Saint-Saëns.

Commande de Claude Delvincourt pour les concours du conservatoire de Paris, le Choral, Cadence et Fugato que compose en 1950 ouvre le disque d'une façon très modérée : jusque dans ses passages les plus lyriques, l'œuvre de jeunesse déploie surtout une grande pondération. Mais parce qu'elle tient le piano de Yumi Otsu en arrière, parce qu'elle veut maintenir le trombone de Jean Raffard en avant, la prise de son est d'une rondeur qui sans doute renforce le caractère scolaire de l'anthologie. La partition de Saint-Saëns ressort plutôt « normalisée » : les passages les plus dépouillés sont pratiquement trop épais et les moments plus emportés ont même la fougue un peu empesée.

Cette manière d'équilibrer les voix est néanmoins très avantageuse à l'œuvre de Tomasi, Andante et Scherzo. Le caractère semi-liciencieux des glissements harmoniques y trouve toute sa place, sans déborder. D'ailleurs, s'il fallait y chercher des caractéristiques de la musique française, il faudrait encore hésiter entre ses influences très maîtrisées et la retenue dont Jean Raffard fait preuve jusque dans les accès de sensualité. La Pièce de Concert de Guy Ropartz et la Sonatine de Jacques Castérède offrent également des plages bien relativement dramatiques, curieusement endurantes, convenablement enfiévrées. Et ces caractères intermédiaires donnent lieu à des ambiguïtés passionnantes quoique fictives. Nous ne saurons peut-être jamais et nous nous délectons de ne savoir si le deuxième mouvement de la Sonatine de Castérède est mélancolique ou, au contraire, voluptueusement apaisé.

Le Capriccio de Boutry est sûrement le moment le plus spectaculaire du disque, pour autant que l'interprétation soit toujours d'une assez haute tenue pour que l'efficacité n'en soit plus emphatique. À l'inverse et comme dans la Cavatine de Saint-Saëns, nous aurions apprécié un dépouillement plus radical dans le Plain chant et Allegretto de Désenclos. Terminant avec le Morceau Symphonique d', l'œuvre la plus ancienne à son programme, Jean Raffard fait preuve d'une discipline et d'une application qui, décidément, nous semblent tempérer ses interprétations dans une enveloppe un peu corsetée. Ou bien, comme à la télé, est-ce la valeur documentaire de ces enregistrements qui, si prégnante, finit par en limiter la force d'expression ?

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