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Soyons corrects

16 septembre 2007

La musique classique est un milieu où l’on se doit d’être correct. Prenez par exemple l’émission de Frédéric Lodéon sur France-Inter, revenue enfin en plein après-midi, après un an de lutte de la part de l’intéressé. Le jeudi 13 septembre, lendemain de la victoire écossaise au football, un bout de la Symphonie « Ecossaise » de Mendelssohn est proposé. Puis un raccourci de l’Ecosse au rugby (c’est de saison) nous amène logiquement à Rugby d’Honegger… Cela ne dure que quelques minutes, mais l’œuvre a été écrite en 1928, c’est dire à quel point c’est récent ! L’auditeur n’a eu droit qu’au 40 ultimes secondes, suivies de propos proches de l’excuse (« une musique aride, tout comme son compositeur »). Non, Honegger, c’est trop moderne, sa mort (1955) est trop récente. Ce doit être une musique où il faut réfléchir (ah bon ?) surtout que l’émission précédente, « Là-bas si j’y suis » de Daniel Mermet (tiens, lui n’a pas pu récupérer sa tranche horaire initiale) donnait, avec le témoignage d’un ancien détenu de Guantanamo, dans le divertissement le plus pur… Mais la musique classique ne doit pas déranger, ni même être susceptible de pouvoir déranger – puisque visiblement Honegger dérange par son « aridité ». La musique classique, c’est du correct pour gens corrects !

Voilà ce qui arrive quand on n’est pas correct : la prison ferme ! Un musicien a osé être critique envers son chef d’Etat. L’action se passe en Europe occidentale, au XXIe siècle. Le « criminel » est un organiste, Marc Giacone, titulaire de l’instrument de la Chapelle des Pères Carmes de Monte-Carlo. La « victime », Son Altesse Sérénissime Albert II. Le lieu : Principauté de Monaco (forcément). L’offense : avoir, sur un site Internet, affublé le souverain d’un costume de clown (in « Le Canard enchaîné » n°4 529). Le jugement n’est pas encore rendu, mais le parquet de la Principauté demande 6 mois… Monaco est pourtant une monarchie constitutionnelle démocratique depuis 1911.

Pour célébrer les 30 ans de la mort de Maria Callas, là aussi il faut être correct. France 2 proposait samedi 15 septembre un téléfilm biographique larmoyant à souhait : Callas et Onassis. Callas, jeune, était myope comme une taupe… et grosse. Dans le téléfilm, à peine est-elle enrobée, et elle n’a jamais besoin de lunettes. Mais la diva elle-même a mis un point d’honneur à ce que les photos la représentant dans son aspect d’origine soient éliminées. Difficile de trouver un cliché de la Callas datant d’avant 1949. Donc autant ne pas briser le mythe dans le téléfilm, restons corrects. Meneghini est un pimpant quinquagénaire dont Callas s’éprend de suite (alors qu’il faudra en réalité deux ans avant qu’elle n’accepte de l’épouser), et les quelques photos le montrant dans la réalité ne donnent pas de lui l’image d’un grand séducteur. Le succès de la jeune soprano vient au détour d’une audition ; il est immédiat. Dans la vraie vie, Tullio Serafin l’engage pour La Gioconda en 1947, mais le succès n’est que d’estime, et elle n’est pas réengagée. Ah ! Voilà quelque chose de bien peu glamour ! Et si peu télégénique… d’ailleurs, sur 3h 30 de pellicule (le téléfilm est en deux parties), on ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup de musique, si ce n’est une bande originale écœurante de « sucrerie ». Mais pas vraiment d’opéra. Restons corrects tout de même. Heureusement, la vérité sur Callas, bien loin du conte de fées pour ménagères de moins de cinquante ans, peut parfois apparaître au détour d’un documentaire sans concessions. Qui n’aura vraisemblablement pas les honneurs d’un samedi après-midi sur France-Télévisions. Pas assez correct.

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