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Miklós Rózsa envoûté par Alfred Hitchcock

Le label Intrada nous a habitués à d'excellents enregistrements de musiques de film, et cela s'applique particulièrement à sa célèbre collection « Excalibur » qui, si elle ne contient actuellement que cinq titres, n'en est pas moins très recommandable par l'excellence de ses réalisations : qualité vaut mieux que quantité ! Bien sûr les amateurs de bandes sonores originales pourront faire la fine bouche car il s'agit en l'occurrence de réenregistrements de partitions de l'âge d'or du cinéma hollywoodien, mais il faut bien préciser que quand les bandes originales sont détériorées, incomplètes ou ont disparu, on n'a vraiment pas le choix, et les réenregistrements modernes permettent de s'affranchir de l'image (pour les meilleures musiques de haute qualité) avec le plus souvent un son nettement meilleur, ainsi qu'une présentation virtuellement complète des partitions.

À la fin des années 90, la collection « Excalibur » comptait Islands in the Stream de Jerry Goldsmith, Jason and the Argonauts de Bernard Herrmann, Julius Caesar et Ivanhœ de en des réalisations que l'on peut considérer comme définitives, et la nouvelle venue ne l'est pas moins. La publication de la musique complète de Spellbound (1945) de était depuis bien longtemps un des rêves les plus chers non seulement des producteurs de Intrada, mais aussi des fans du grand compositeur d'origine hongroise, qui désespéraient pouvoir un jour disposer de cette version enfin intégrale, car seuls de large extraits avaient été réenregistrés – en des arrangements plus ou moins discutables – par Ray Heindorf au temps du microsillon (1958), en plus des versions en Concertos pour piano et pour deux pianos compilées par le compositeur lui-même. Soixante-deux années après la sortie du film culte d'Alfred Hitchcock, le rêve est enfin exaucé, et de manière éblouissante, par des musiciens slovaques dont cette musique n'est pourtant pas le répertoire habituel ; quoi qu'il en soit, il s'agit ici d'un des plus beaux hommages rendus à , digne du centième anniversaire de sa naissance.

Spellbound est la seule musique que Rózsa écrivit pour Hitchcock qui, curieusement, ne l'appréciait pas outre mesure, ce qui d'ailleurs n'empêcha pas le compositeur de recevoir, grâce à elle, son premier Oscar pour la meilleure partition originale en 1946 (deux autres « Academy Awards » suivront : A Double Life en 1947 et Ben-Hur en 1959). Dans une interview accordée à David Kraft en septembre 1982 – Soundtrack! n°3 – le compositeur confiait : « Hitchcock n'aimait pas ma partition pour Spellbound. Mais j'en ai eu connaissance seulement bien des années plus tard. J'ai eu deux réunions avec lui. Lors de la première rencontre, Hitchcock et Selznick m'ont indiqué qu'ils voulaient un grand thème d'amour et un son étrange pour la paranoïa. Aussi j'ai écrit un thème d'amour et j'ai dit que je voulais employer le theremin. « Qu'est-ce que c'est ? Cela se mange-t-il ? » Non, cela se joue. « Et comment est le son ? » Ils n'ont pas été impressionnés. Selznick, qui était un homme très généreux, a dit : « O. K. Pourquoi n'écrivez-vous pas une scène et ne l'enregistrez-vous pas ? Ainsi nous l'écouterions. Si nous l'aimons, parfait ; sinon, changez-la. » Ainsi j'ai obtenu un grand orchestre, une scène d'environ trois minutes et demie fut enregistrée (c'était la scène du rasoir) et ce que j'ai su ensuite, c'est qu'ils ont voulu avoir le theremin partout : au générique du début, dans la scène suivante… »

C'est l'inventeur russe Léon Theremin qui créa l'instrument électronique qui porte son nom, précurseur des Ondes Martenot, elles-mêmes ancêtre de nos synthétiseurs actuels. Miklós Rózsa fut le premier à l'utiliser au cinéma dans Spellbound ; il l'utilisera encore par après dans The Lost Weekend, The Red House et Dead Men don't wear Plaid. Dans Spellbound, la prestation de Celia Sheen au theremin est tout simplement admirable, comme le sont d'ailleurs celles de tous les protagonistes de cette splendide réalisation.

Signalons pour conclure que contrairement au titre américain Spellbound, le titre français du film – La Maison du Docteur Edwardes – respecte, une fois n'est pas coutume, le nom anglais original du roman de Francis Beeding qui inspira le film : The House of Doctor Edwardes.

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