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Quand le piano devient miroir de l’âme

Sur les vingt-deux sonates que Schubert a composées, on n'enregistre que trop souvent les plus tardives, laissant de côté bien des trésors de jeunesse. Après tant de versions de référence, quels secrets peut-on encore bien arracher de la fameuse dernière Sonate en si bémol D960, chef-d'œuvre parmi les chef -d'œuvres de la dernière année d'existence du compositeur ? Certes, il est aisé de comprendre qu'un pianiste veuille directement s'attaquer à ce qu'il y a de plus précieux, de plus génial chez un compositeur, et nous ne nous opposerons aucunement à cet inévitable, si tant est qu'il puisse nous apporter quelque émotion nouvelle, sinon nous restituer fidèlement la quintessence de ces immortels chef – d'œuvres…

Et ne nous déçoit pas, avec une interprétation fort séduisante de la sonate en si bémol. Rien de révolutionnaire, mais un jeu simplement cohérant et expressif qui ne trahit en aucune façon Schubert. On admire son toucher empli de grâce et de délicatesse, son rubato, ses contrastes saisissants dans les dynamiques sonores. On le sent très sensible au lyrisme de Schubert à la manière dont il fait ressortir de la partition toute la substance mélodique. Plus intéressé par le contenu émotionnel que par les difficultés techniques, il contemple l'âme de Schubert et la fait chanter et danser au gré d'un jeu fort inspiré. Cœur émotionnel de la sonate, le languissant andante se transforme ici en un adagio intemporel baigné de sombres nuages de pédale, suspendu par des fragments de notes impalpables où la mélancolie se recouvre de son manteau le plus gris.

Composée en 1826, la Sonate en sol majeur D894 précède la fameuse trilogie des sonates de 1828, et se place au sommet de la phase médiane de la créativité de Schubert, phase où la « douce mélancolie » dont parle Stadtfeld à propos du compositeur se joue davantage de la vie que de la mort. En raison du très long mouvement d'ouverture, la sonate fut baptisée « Fantaisie » par l'éditeur. Un coup d'audace de Schubert pour cette rêverie poétique dont la magie ne tient que par quelques fils fragiles ; à l'interprète d'y révéler sa personnalité en y donnant la dose de relief et d'expression nécessaire pour éviter qu'elle ne s'apparente à une suite de sons placide. ne s'y trompe pas, et offre toutes les clés à l'auditeur pour pénétrer cette musique si étonnante. Il marque beaucoup les accents et adopte des variations de tempo tout à fait appropriées aux hésitations et marques de subtilités que l'on retrouve si fréquemment chez Schubert.

Contentons-nous, pour conclure, de cette lumineuse révélation : en écoutant Stadtfeld jouer Schubert, on a cette impression d'écouter Schubert lui-même. Que rajouter de plus…

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