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L’Hébreu errant

Deux choses frappent l'auditeur dans ce disque consacré aux poèmes traditionnels juifs, les piyoutim. D'abord la nudité du chant d'Ora Sittner, et les percussions légères de Youval Micenmacher parcourant leur propre chemin, commentant plutôt qu'accompagnant la chanteuse ; ensuite l'unité de caractère de ces musiques composées du Yemen au Liban, de Calcutta à Tanger, en passant par Jérusalem.

A leur origine, les piyoutims étaient des poèmes religieux récités lors des grandes fêtes. Au cours des siècles ils ont été mis en musique et récités en certaines occasions, jours de mariage, de circoncision, de jeûne ou de deuil, voire même sans occasion particulière. Les thèmes abordés sont naturellement liés à la célébration de la gloire de l'Eternel et de sa relation unique au peuple juif « Dieu a donné sa loi sainte à son peuple », où le monothé est réaffirmé dans toute son intransigeante pureté « Et Dieu est Un, et nul second qui Lui puisse être compagnon ». Apparaît aussi l'Histoire douloureuse de ce peuple, « Sanctuaire du grand Roi, Ville Royale / Debout, relève-toi de tes ruines ! Assez séjourné dans la vallée des pleurs », l'amour « Sa tête est de l'or pur ; / Ses boucles sont flottantes, / Noires comme le corbeau » ou encore « Au milieu des fidèles du peuple élu, / Viens, ma fiancée, viens, ma fiancée ! ».

Eshet Hayil, originaire de Tanger, est peut-être le piyoutim le plus ambigu, entre définition de l'idéal féminin et vœu pieu. Il dresse le portrait de la femme parfaite, qui gère sa maison et ses domestiques sans relâche, travailleuse acharnée : « Elle se lève lorsqu'il est encore nuit, Et elle donne la nourriture à sa maison Et la tâche à ses servantes (…) sa lampe ne s'éteint point pendant la nuit. /Elle ouvre la bouche avec sagesse, Et des instructions aimables sont sur sa langue. / Elle veille sur ce qui se passe dans sa maison. Ses fils se lèvent, et la disent heureuse. Son mari se lève, et lui donne des louanges ».

La langue hébraïque est le ciment qui relie la diversité des thèmes évoqués et leur origine géographique, et explique l'unité de ces poèmes. Dès avant l'occupation de la Palestine par les Romains et jusqu'à la création de l'Etat d'Israël, cette langue en effet n'était utilisée que pour l'étude du texte biblique et lors des cérémonies religieuses. Avec beaucoup de sensibilité, Ora Sittner et Youval Micenmacher réalisent un hommage fort car longuement mûri à la langue et à la spiritualité de ces poèmes traditionnels.

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