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Pierre Cochereau, dans le cercle des grands symphonistes

« Aux Grandes Orgues :  ! » Combien de fois n'a-t-on pas entendu cette petite phrase magique en direct lors des offices à Notre-Dame ? Son nom incarnait le monde de l'orgue, comme Menuhin pour le violon, ou Maurice André pour la trompette. Nous le retrouvons aujourd'hui, au travers d'enregistrements réalisés au début des années 60 par Philips, parus à l'époque en microsillon, puis en CDs, mais aujourd'hui indisponibles au catalogue. Le fidèle éditeur Solstice, mémoire vivante et complète de l'art de Cochereau, reprend quelques enregistrements légendaires, dont cette Symphonie en improvisation en quatre mouvements captée dans une cathédrale vide un soir de mai 1963. Cochereau, tout fier, venait de faire installer la nouvelle console flambant neuve commandée à Jean Hermann en remplacement des 5 claviers bien fatigués, qui avaient été ceux de Louis Vierne, et arrivés à bout de course. L'ère moderne fait son entrée sur cet orgue avec l'électrification des transmissions, mais tout le matériel sonore de Cavaillé-Coll restait intact pour le moment. Cela s'entend : pas de chamades encore, et un état général sonore pas tout à fait « au top » car non encore restauré (problèmes d'accord en particulier).

Pourtant le miracle est instantané dès les premières mesures : une introduction nous saisit, sorte de cataclysme cosmique, à l'instar du début du finale de la Symphonie n°9 de Beethoven, suivi ensuite de l'exposition du thème unique, entraînant, volubile et chromatique à souhait. Bien malin à partir de là qui pourrait déceler en aveugle si cela est écrit ou improvisé, c'est là la dimension du bonhomme. Widor avait douté de même en entendant Dupré improviser à Saint-Sulpice. Mais bien sûr, tout cela est sorti d'un jet, sur le fil du rasoir, c'est l'art de l'illusionniste, cher à Cochereau.

Le deuxième mouvement est encore plus éblouissant : un scherzo ! Les doigts volent sur les flûtes virtuoses, en une danse infernale, sorte de mouvement perpétuel : la maîtrise est totale, c'est du très grand , directement inspiré de son maître Maurice Duruflé. Suivront un adagio et un final de la même veine et gardant toujours le thème musical initial.

Dans la foulée, et sans doute pour illustrer la palette sonore de son grand orgue, nous propose treize courts versets destinés aux Vêpres. Chaque pièce est un microcosme où chaque jeu ou mélange est détaillé, en une courte idée de moins de deux minutes à chaque fois, là aussi c'est un tour de force. Enregistré une dizaine d'années plus tard, le Boléro improvisé s'inspire de Maurice Ravel avec l'usage immuable des percussions, et sa progression. Durant plus de 13 minutes, la musique nous enivre, telle une lente et implacable passacaille. Les œuvres proposées dans ce disque ont fait l'objet de partitions afin que les organistes puissent aujourd'hui les faire vivre à nouveau : Le génie de Cochereau se trouve bien là, c'est normal de vouloir le sauvegarder.

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