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Au bois lacté, création mondiale de François Narboni à Metz

Les créations mondiales se font rares sur les scènes lyriques françaises, et on saluera tout particulièrement la décision de l'Opéra-Théâtre de Metz de représenter Au bois lacté, le troisième opéra du jeune compositeur .

L'ouvrage, tiré de la pièce radiophonique de Dylan Thomas Under Milk Wood (1953), judicieusement sous-titrée « a Play for Voices » en anglais, est d'une grande beauté poétique autant que musicale. Le livret, adapté par le compositeur à partir de sa propre traduction de la pièce d'origine, se présente comme une série de tableaux illustrant la vie quotidienne d'un petit village côtier du Pays de Galles, lieu inspiré en grande partie de l'endroit où vécut le poète et dramaturge britannique. Si le public peut au premier abord se sentir dérouté par l'absence d'une intrigue traditionnelle, il se prend peu à peu à s'attacher à cette trentaine de personnages tous truculents et hauts en couleur, émouvants quoique parfois à la limite de la caricature, et dont les apparitions successives construisent un enchevêtrement labyrinthique de situations tout à tour comiques et pathétiques, dont la juxtaposition onirique finit par révéler une humanité touchante dans la variété, mais aussi dans l'outrance, de ses folies et de ses désirs.

La partition, de toute beauté, est d'une grande originalité. Écrit pour un instrument unique, l'accordéon, auquel se rajoute de temps à autres une présence électronique, l'ouvrage repose en grande partie sur l'utilisation de la masse chorale issue de la fosse d'orchestre, et dont les subtiles harmonies traduisent la complexité des situations humaines montrées sur scène. Sur le plateau, un corps de ballet et un chœur mixte d'enfants se mêlent aux incarnations des solistes, complétées encore par la présente d'une récitante, à la fois extérieure et interne à l'action, dont la voix parlée ponctue la partie musicale. D'une grande variété rythmique, mélodique et harmonique, la partition s'inspire autant de la comédie musicale que de la musique celtique ou des madrigaux italiens, le mélange stylistique ainsi obtenu proposant ainsi un prolongement musical à l'entrecroisement dramatique des situations dépeintes sur scène. On aura rarement éprouvé autant de plaisir à la création d'un ouvrage lyrique contemporain.

La mise en scène, extrêmement habile dans le traitement des chassés-croisés entre les différents personnages, évolue dans les superbes décors d'Antoine Juliens, très années 50 dans leur stylisation, et parfaitement évocateurs de l'univers onirique dépeint par l'ouvrage. Le mystère entretenu par l'imbrication des multiples situations montrées dans la pièce est notamment suggéré par l'emploi de trois voiles de tulle superposés et savamment éclairés, révélant par effet de transparence les agissements de certains personnages.

Les solistes de l'ensemble Soli-tutti se jettent à corps perdu dans leurs rôles respectifs, magistralement défendus sur le plan scénique même si quelques voix manquent parfois d'ampleur ou de caractère. De même, il aurait peut-être fallu pour l'occasion renforcer quelque peu l'effectif choral de l'Opéra-Théâtre de Metz, confronté à une partition d'une redoutable difficulté ; quelques voix supplémentaires auraient sans doute permis de mieux saisir certaines complexités harmoniques.

Il va de soi cependant que ces menues réserves n'enlèvent rien à l'immense plaisir qu'on aura ressenti à la découverte d'un ouvrage puissant et original, doté de multiples beautés, et dont la production sur la scène messine laisse entrevoir quelque espoir pour l'avenir de la création lyrique contemporaine en France.

Crédit photographique : © Opéra-Théâtre de Metz

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