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Stefano Secco, l’appel aux larmes

Che gelida manina, une mélodie impossible à détacher de la voix solaire de Luciano Pavarotti. Comment émouvoir aujourd'hui avec un rôle que le ténorissimo a porté aux sommets sur toutes les scènes du monde ? A Lausanne, la réponse existe. Elle a pour nom .

Non pas que la voix du ténor soit plus belle, plus grande ou plus lumineuse que celle de Pavarotti, mais convainc plus encore que le grand disparu à travers l'authenticité avec laquelle il exprime le trouble de son personnage devant le mystère de cet amour soudain et total. Et pourtant, rien dans l'homme d'apparence insignifiante ne semble s'imposer. Mais, tout à coup, comme par enchantement, il existe. Vrai, indéniable, évident. Il fait oublier le décor un peu misérable et dénudé de la mansarde qu'il partage avec ses amis Marcello, Schaunard et Colline, pour transporter le spectateur dans le rêve de sa passion amoureuse. En quelques notes, en quelques intonations, en quelques mots, il arrache le cœur, il appelle aux larmes.

Bien sûr, cette authenticité dans le propos inonde la scène. Ainsi, la cheffe d'orchestre, Mélanie Thiébaut, prenant à bras le corps le , s'éprend du lyrisme de l'œuvre pour en offrir une interprétation chargée du pathos émotionnel que suggère cette histoire simple, presque banale. La musique envahit le plateau où la mise en scène de s'enivre de la simplicité des personnages. Malgré la disparition du metteur en scène, en avril dernier, son travail reste vivant, intact et respectueux d'un livret admirable. La beauté de cette mise en scène s'affirme dans son évidence. De voir chaque personnage se mouvoir aussi naturellement qu'il le ferait dans la vie courante, démontre le talent déployé pour qu'on peine à voir une quelconque direction d'acteurs. Seuls les mouvements de foule du second acte révèlent les limites d'un metteur en scène de théâtre naturellement peu habitué à diriger de grands groupes de personnes dans le théâtre parlé. Dans leur dépouillement de couleurs, les décors d' ajoutent au climat d'insouciance désargentée des quatre copains.

Autour de la passion de Rodolfo pour Mimi, Marc Barraud (Marcello) s'aligne sur le niveau vocal imposé par son compagnon de scène. Son peintre aux allures de Tristan Bernard est admirablement réussi tant vocalement que théâtralement. La voix bien assurée sans inutiles effets, il est un personnage éminemment attachant, De son côté, (Colline) est un peu plus effacé. Au dernier acte cependant, alors qu'il met son manteau au clou pour subvenir aux besoins médicaux de Mimi, son Vecchia zimarra, senti… chanté sans emphase excessive, est un modèle de beau chant. Le baryton (Schaunard) campe un musicien vivant joyeusement dans l'ombre de ses compagnons. Si le ton est juste, la vocalité de qualité, on aurait aimé qu'il s'abandonne plus et projette son chant pour se hisser au niveau sonore de ses compagnons.

Malgré ses évidentes qualités de comédienne, la soprano roumaine (Musetta), manque du caractère quelque peu piquant et gouailleur de son personnage. Tout à l'opposé, la soprano (Mimi) jouit d'un instrument vocal impressionnant de puissance. Si elle paraît ne pas prendre la mesure de la finesse du personnage, la puissance de sa voix ne peut être mise en cause (Après tout, Renata Tebaldi, Mirella Freni ou Renata Scotto, toutes de marquantes Mimi de La Bohème n'étaient pas à proprement parler des « petites » voix !). L'impression de gêne que la soprano ukrainienne crée autour de son personnage provient de son manque d'italianité et d'une technique vocale «russe» inappropriée à l'expression puccinienne. La scène finale la voit pourtant se fondre dans le personnage avec une musicalité retrouvée et c'est au paroxysme de l'émotion que le rideau tombe sur cette belle réussite musicale et théâtrale de La Bohème selon .

Crédit photographique : © Marc Vanappelghem

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