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Un mariage blanc ?

Philharmonique de New York

L'évènement de cette année 2008 est bien ce concert du New York Philharmonique Orchestra diffusé ce matin à 10h (heure de Paris – GMT +1) en direct du Grand Théâtre de Pyongyang, capitale de la République Populaire Démocratique de Corée du Nord. Aucune figure politique américaine dans la salle, pas même la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice – présente à l'investiture du nouveau président sud-coréen Lee Myung Bak. Le Philharmonique de New York s'est arrêté symboliquement à Pyongyang à l'occasion d'une tournée en Asie (11 concerts à Taiwan, Hong Kong, et en Chine populaire). La tournée se terminera à Séoul le 28 février 2008.

L'orchestre avait reçu cette invitation protocolaire il y a plus d'un an … alors que les relations diplomatiques étaient déjà redevenues très tendues depuis les essais nucléaires du 9 octobre 2006 par la Corée du Nord. s'est exprimé en affirmant que « cette invitation était bien au nom de l'émotion musicale pour lier et rapprocher nos peuples … La Musique est neutre » Les musiciens ont refusé de se prêter au jeu d'une mise en scène à leur descente d'avion et ont demandé que soit démontée une estrade sur laquelle ils étaient attendus qui semblait avoir un rôle autre que leur venue amicale et musicienne.

Le répertoire donné n'est pas anodin en introduction les hymnes nationaux de la Corée du Nord et des Etats-Unis incontournables, puis la Symphonie n°9 « du Nouveau monde » d'Antonin Dvořák crée par ce même orchestre le 16 décembre 1893 à New York, puis Gershwin (Un Américain à Paris) présenté pour qu'un jour un compositeur puisse écrire « Des américains à Pyongyang » enfin Lohengrin de Wagner, prélude de l'acte III, qui disparaît de cette diffusion de 19h sur Arte. Diffusion qui diffère un petit peu de la retransmission en direct sur le site Musici. tv à 10h ce matin, l'ordre des œuvres n'est pas le même pour permettre, à l'entracte, de nous informer avec des reportages sur la situation socialo-politique et humaine de ce pays. Mais la montée d'émotion qui se dégageait ce matin n'est plus perceptible. Par exemple le prélude de l'Arlésienne de Bizet donné en bis au concert arrive juste après l'œuvre de Gershwin. Les sentiments sont maintenant mélangés entre la version web en direct et celle télévisée en différée. On pouvait facilement sentir dans la diffusion matinale le public nord-coréen d'abord très réservé, puis progressivement conquis avant l'explosion d'applaudissements avec les bis finaux, dont un air patriotique local et l'ouverture de Candide de Leonard Bernstein (comment parler du sans évoquer son chef « historique » ?). Un DVD sera édité prochainement de ce concert fabuleux et extraordinaire.

« Je me sens sur une autre planète », tel est le témoignage du premier violon, une autre américaine d'origine coréenne exprimant ses appréhensions de fouler cette terre devenue hostile à la liberté de penser. Le reportage sur Arte, présenté très ironiquement et avec beaucoup de second degré par William Irigoyen, a laissé la parole à un professeur de musique de l'enseignement secondaire. Impressionnant… Puisqu'il fallait qu'un média occidental ait le droit de fouler ce sol interdit, les questions, probablement préparées, revues, corrigée sont censurées par le pouvoir en place, sont édifiantes. On y apprend que les artistes nord-coréens sont parmi les meilleurs du monde … Vous, lecteur francophone de ResMusica, connaissez-vous un seul musicien nord-coréen ? Images pathétiques d'une dictature d'un autre âge, avec ce fonctionnaire aux ordres entonnant le Chant des souhaits, hymne composé par le dictateur actuel Kim Jong Il et par conséquent chef d'œuvre obligé. Le témoignage d'un transfuge réfugié à Séoul donne froid dans le dos : militant convaincu, mais doutant des capacités du nouveau dictateur, il émet quelques réserves lors d'une discussion privée… La Police de la Pensée de 1984 d'Orwell était à l'œuvre.

Ce n'est pas la première fois que des musiciens se font ambassadeurs de la paix. Nous connaissons le travail actuel de Daniel Barenboïm avec son West-eastern Diwan Orchestra. Avant lui, « Slava » Rostropovitch était venu jouer sur les ruines du mur de Berlin à peine détruit en 1989, suivi de près par Leonard Bernstein venu diriger la Symphonie n°9 de Beethoven. Lors de la détente des relations Est-Ouest après la mort de Staline, la musique a pris la première place : création de Porgy and Bess en Union Soviétique (1956), Van Cliburn remporte le concours Tchaïkovski (1958), tournée du dirigé par Bernstein (1959), etc. D'autres actions ont suivi, dont le fameux De Mozart à Mao avec Issac Strein. Et on ne compte plus les musiciens ambassadeurs de l'UNICEF : Yvonne Kenny, Myung Wha Chung, Maria Bayo, Leo Nucci, Vincenzo La Scola, Peter Dvorsky, Barbara Hendricks et dernièrement trois orchestres : l'Orchestres des Jeunes Simon-Bolivar du Venezuela, l'Orchestre National de Hongrie ou encore l'Orchestre Philharmonique de Radio-France.

Ce concert hautement symbolique – et probablement fortement privé au niveau de l'audience publique coréenne – est venue donner une bouffée d'air frais à un pays extrêmement pauvre, où sévit la famine, où tout est rationné, sauf le service militaire : cinq années dès l'âge de 16 ans. Les nord-coréens meurent de faim, mais ont l'énergie nécessaire pour fournir la cinquième armée du monde et les spectacles grandioses en l'honneur de leur dictateur Kim Jong Il, fils de son père lui-même dictateur Kim Il Sung. La Corée du Sud, toujours séparée de sa jumelle depuis 55 ans par une frontière qui correspond à peu près au 38ème parallèle, a renoncé depuis l'an dernier à toute idée de réunification … En 1962 Igor Stravinsky faisait son grand (et unique) retour au pays natal, après plus de 50 ans d'exil. Les musiciens nord-coréens exilés au sud devront attendre un peu plus longtemps …

Avec la collaboration de Maxime Kapriélian

Crédit photographique : © Chris Lee

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