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Jean Mahtab : une musique acousmatique ancrée dans son époque

Sur Internet, on trouve ne pas beaucoup de choses sur . Le seul site Internet consacré à l'artiste n'est pas aussi prolixe qu'on l'attendrait. Un parcours brièvement esquissé, sans dates : impossible de se faire une idée de l'âge du bonhomme, aucune photo, utilisation du « nous » : la personne semble vouloir à tout prix s'effacer devant l'œuvre qu'elle propose.

On apprend néanmoins dans le livre que MonsieuRdurand (un pseudonyme du compositeur, encore une « dissimulation ») a bâti son projet artistique autour de quatre axes : composition acousmatique, poésie électronique, art radiophonique et installations sonores. L'enregistrement présenté par Motus reflète parfaitement cette démarche.

Le disque s'ouvre sur un « safari » composé avec un seul magnétophone. La phrase introductive, déformée, annonce la couleur : Un mauvais champignon est une œuvre sous ecstasy, pleine d'humour, pleine de trouvailles, de phrases amusantes ou absurdes confrontées à des sons ou des traitements drolatiques (« Aujourd'hui les femmes ont rêvé qu'elles faisaient l'amour avec leur père », « Quand te reverrais-je mon petit Babar ? »…).

Le compositeur semble beaucoup s'inspirer de la musique populaire et urbaine de notre temps : sampling, distorsion, répétition, importance des graves… Dans le même temps, on ressent dans son œuvre un désir constant de rendre hommage aux pionniers Pierre Schaeffer et Pierre Henry. Ainsi Etudes aux Anamorphoses, un hommage appuyé au compositeur d'Etude aux Chemins de Fers : toute la pièce est construite autour d'une phrase prononcée par l'inventeur de la musique concrète.

accomplit également un travail poétique remarquable sur les voix. Les textes viennent à point nommé donner un sens à l'expérience acousmatique. Il témoignent de notre environnement sonore, social et culturel, heureusement transcendé par le compositeur (on entend même des extraits d'émissions télévisées à la mode – A vous de juger d'Arlette Chabot ?). Grâce à un montage permettant aux textes de se répondre ou de se mélanger, le musicien cultive une « distance » proche de l'ironie – qui peut faire réfléchir ou faire sourire : c'est selon.

La musique de est viscérale, primitive parfois, et s'adresse avant tout aux sens de l'auditeur : il ne se replie pas dans l'abstraction pour faire de l'abstraction, il utilise l'abstraction pour procurer des sensations, et même conduire l'auditeur à interroger son environnement immédiat. L'un des objectifs principaux de Jean Mahtab est de créer une esthétique des sons : pari réussi.

Paradoxe étonnant : les explications du compositeur sont d'une obscurité qui laisse pantois (nous vous laissons juge d'une phrase prise au hasard : « Contingence radicale aux accents de nausée vernaculaire où la stance vient relancer l'œuvre dans l'ouvert du monde »). Comment une musique aussi « directe » peut-elle se parer de commentaires abscons et intellectualistes? Nous nous contenterons de laisser la question ouverte et de préférer le disque au livret censé éclairer l'œuvre.

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