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L’Evangile selon Bach

Passion selon saint Jean

Aller écouter le soir du vendredi saint la Passion selon saint Jean, c'est renouer en quelque sorte avec les racines de notre civilisation chrétienne, comme certains le diraient volontiers aujourd'hui. Le texte et la musique qui illustrent si bien ce drame nous font entendre toutes sortes de résonances métaphysiques : les mécréants et les croyants tièdes ne peuvent que se recueillir, frappés par la conviction et la force d'expression du Kantor de Leipzig.

Nous nous permettrons cependant une critique très terre à terre : nous regrettons l'absence d'un prompteur du type de ceux qu'on emploie pour les opéras ; cela permettrait à chacun de suivre le déroulement de l'action et de bien comprendre les dialogues tels qu'ils sont relatés d'une manière très vivante dans le texte évangélique. Les grands prêtres se sentent menacés dans leur pouvoir par la prédication de ce Jésus qui commence à rassembler des foules, et ils vont à leur tour manipuler leurs partisans pour éliminer ce gêneur : « cela serait bon pour le peuple, dit Caïphe, si un homme était exécuté. » Pilate, le représentant du pouvoir étranger, n'est pas dupe des prêtres et ne croit guère au danger que représente la prédication de Jésus, mais il ménage sa carrière ; il se laisse intimider par le chantage du clergé et les hurlements de la foule haineuse, et leur abandonne le trublion.

La confession réformée se fonde sur un retour à la lettre des Ecritures, et cela explique pourquoi le genre de la Passion a connu tant de succès dans les régions allemandes luthériennes. L'aspect dramatique de la mort du Christ est aussi plus proche de la sensibilité de l'époque, qui occulte moins cette présence de la mort que la nôtre ; en outre théologiquement c'est bien le moment majeur de l'enseignement chrétien : c'est sa mort nécessaire et annoncée qui permet toute résurrection et tout nouveau départ. N'oublions pas que l'année liturgique débute à Pâques : « aussi réveille-moi de la mort, et que mes yeux te contemplent en toute joie », chante le chœur dans le choral final.

Il nous semble que interprète cette œuvre en mettant en relief plusieurs plans. D'abord le récit de l'évangéliste lui-même, interprété par Christoph Pregardien : celui-ci, né à Limburg, s'est déjà illustré dans un répertoire étendu et il est actuellement professeur à Cologne ; il allie dans ce rôle une diction parfaite à une grande expressivité dans le chant et vit littéralement les différentes péripéties du drame. Le continuo, assuré par l'orgue, la contrebasse, le violoncelle, le théorbe et le basson, est remarquable par la promptitude de ses réflexes qui lui permettent de ne faire qu'un avec l'évangéliste.

Au second plan, les arie s'ordonnent d'une façon symétrique par rapport au choral 40, Durch dein Gefängnis, Gottes Sohn (« par ta prison, fils de Dieu, la liberté nous est venue »). Auparavant se déroulent les épisodes de l'arrestation et des pressions des prêtres sur Pilate, et ensuite viennent la condamnation et la crucifixion au Golgotha. Mais en même temps, le commentaire du texte met l'accent d'abord sur l'inquiétude du chrétien, comme dans l'aria de ténor Ach mein Sinn, puis dans la seconde partie souligne à la fois la compassion et l'apaisement progressif de l'âme du croyant. L'air de soprano Zerfliesse, mein Herze (« répands-toi, mon cœur, en flots de larmes »), interprété par Katherine Fuge, est un des grands moments du concert, et elle y fait preuve de la sensibilité retenue qui a fait sa réputation et nous fait ressentir une émotion intense.

effectue une prestation plus inégale : si la première partie de l'air Es ist vollbracht (« tout est consommé ») est très belle, la seconde partie rapide en est moins convaincante. a remplacé au dernier moment celui qui devait jouer le rôle du Christ, et c'est dans son air Mein teurer Heiland (« mon cher sauveur ») qu'il donne le mieux sa mesure. Bach atteint dans cette pièce un des sommets de son écriture, faisant accompagner le chant par une sorte de danse de la viole de gambe et par un choral lointain exprimant la foi du chœur en l'immortalité.

La sonorité de ce dernier est toujours homogène et la mise au point en est impeccable. Cependant dans la première partie il garde un aspect un peu compassé qui l'éloigne en partie de l'action ; mais au contraire cette retenue sert bien le propos des épisodes finaux : les nuances piano du chœur Ruht wohl invitent vraiment à la méditation et à l'espérance du salut. Enfin l'ensemble du Concert Lorrain sert avec élégance cette œuvre hors du commun qui n'a pas pris une ride, en exprimant presque corporellement les lignes sinueuses de l'écriture du grand maître du baroque.

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