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Intégrale de l’œuvre pour piano de Dukas par Olivier Chauzu

Une année après son remarquable enregistrement d'Iberia, le pianiste tente la gageure – brillamment relevée – de démontrer à ses auditeurs le caractère aussi injuste qu'incompréhensible de l'oubli dans lequel est tombée la production pianistique du maître de L'apprenti sorcier.

Donnant la totalité de l'œuvre pour piano de , ce magnifique virtuose dont nous avions déjà, dans ces mêmes colonnes, salué l'inestimable talent, ne rend pas seulement hommage à l'un des artisans de la plus faste période de la musique française, il donne aussi à entendre un total de pages dont l'étonnante originalité le dispute à la scintillante qualité d'écriture. Heureuse conjonction d'un compositeur à qui l'instrument-roi du XIXe siècle semble avoir livré ses plus surprenants secrets et d'un instrumentiste capable d'en restituer les plus subtils échos !

À l'écoute des Variations, Interlude et Finale sur un thème de Rameau, nous revient par exemple en mémoire le mot de Stockhausen relatif aux Diabelli… beaucoup moins le même objet sonore présenté sous diverses lumières que divers objets inouïs traversés par la seule lumière beethovénienne. Car, toutes proportions conservées, il n'est pas toujours aisé de suivre et de reconnaître, dans cette page magistrale de Dukas, les métamorphoses d'un thème omniprésent et souvent méconnaissable, qui, à l'image d'une aube estivale fuyant parmi les marbres ciselés d'une cité imaginaire, entraînerait l'auditeur aux frontières confuses d'un indicible enchantement. Pilote éprouvé de cette aventure sonore inédite, ne cède pourtant rien, ne distrait rien, ne perd rien. Maître du clavier, il extrait des profondeurs de son instrument un total expressif d'une telle variété, si approprié à son objet, si rigoureux et impeccable du double point de vue de la forme et du style, qu'on y décèle moins la marque d'un musicien ordinairement doué que celle d'un élu pour qui le don naturel n'induit rien d'autre qu'un redoublement de maîtrise idiomatique et de vigilance artistique.

Avec sa Sonate en mi bémol mineur, Dukas s'est tourné vers un genre quelque peu oublié en ce début de XXe siècle : sa construction (issue du modèle beethovénien) en quatre mouvements, l'autorise à équilibrer ses effets sous le couvert d'une apparente et équivoque dispersion. Au cours du premier mouvement, superpose avec une délicatesse rare trois plans sonores, créant une sensation si exaltante de dissolution dans la permanence qu'il n'est pas téméraire d'y découvrir une incertaine analogie avec les tendances contemporaines de l'esthétique visuelle impressionniste. Quant au merveilleux troisième mouvement, (Vivement, avec légèreté), au croisement de la fantaisie, du scherzo et de la toccata, il exige une exploitation de tous les registres – jusqu'au traitement percussif des ultimes mesures – dont l'interprète exalte les vertus dramatiques. Tout comme il sait faire tinter, dans l'inconstance d'une douce brume sonore, les échos décantés du meilleur Debussy dans la Plainte, au loin, du faune. Un mot encore, au sujet des illustrations d'Alfredo Boto (déjà auteur de celles qui ornaient le disque Iberia) ; particulièrement bienvenues, elles confèrent un aspect ludique à la pochette tout en transformant en profondeur notre approche de l'artiste, bien loin du caractère convenu et lassant des traditionnels portraits ! Un disque à écouter, bien sûr, mieux encore, à faire écouter… au plus grand nombre et le plus souvent possible.

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