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La pensée de Boëly, musicien romantique, singulier, classique et moderne

Ce coffret anniversaire est le plus beau monument discographique jamais érigé à la mémoire de l'un de nos meilleurs compositeurs : . Né à Versailles en 1785, il a occupé la première moitié du XIXe siècle, organiste de l'église Saint-Germain l'Auxerrois à Paris (orgue de François-Henri Clicquot construit initialement pour la Sainte-Chapelle), Boëly est la figure marquante à l'orgue, entre l'ancien régime et les romantiques. Son œuvre pour clavier est significative à bien des égards, de cette période où tout change, où tout est nouveau. Pourtant, Boëly reste avant tout un classique, nostalgique des maîtres français anciens dont il s'inspire largement. On remarque dans les innombrables versets qu'il nous a laissés, certains moments incomparables d'inspiration : récits de tierce ou de cromorne en taille, nostalgiques d'une époque révolue. Boëly se tourne également vers d'autres modèles dont le plus important pour lui reste Johann Sebastian Bach. Grâce à lui, le premier pédalier de type allemand sera installé sur son orgue, afin de jouer les pièces d'orgue du cantor, impossibles sur les petits pédaliers français très étroits, et permettant ainsi de faire découvrir au monde musical français cette œuvre supérieure. Il réécrit par exemple, de sa main, tout l'art de la fugue et en termine pour la première fois le dernier contrepoint à trois sujets. Certains chorals sont de la même veine que son modèle. Son imposante œuvre pour orgue comporte environ 250 pièces et repose sur cette double influence française et allemande, abordant une foule de genres, la plupart à destination liturgique, ce qui explique la présence remarquée de la maîtrise de garçons de Colmar que dirige Arlette Steyer, jouant l'alternance indispensable à la présentation de certaines partitions (messes et hymnes). A l'écoute de ces multiples œuvres, son style nous apparaît peu à peu, déjà bien ancré dans l'époque nouvelle. Le langage musical a beaucoup évolué, les audaces harmoniques et chromatismes sont nombreux. Incompris de son vivant, il sera écarté de sa tribune, le public de l'époque lui préférant le style très second empire des sorties chaloupées d'un Lefébure-Wely à l'église de la Madeleine. L'interprétation de et Eric Lebrun, qui se partagent la tâche à deux ou quatre mains parfois, est fondamentalement radieuse : elle éclaire cette musique de manière tout à fait émouvante. Leur jeu est complètement fondu, et il est bien difficile de les distinguer, voire de les départager, tant ils regardent dans la même direction. Le choix des orgues est un véritable catalogue de ce qui s'était fait de mieux durant la vie de Boëly, en tout cas ce qu'il reste parmi les mieux conservés et restaurés. Il y a de quoi apprécier cette facture dite « de transition » à sa juste valeur, c'est-à-dire encore excellente, avec ses nouveautés de jeux gambés et de jeux à anches libres rappelant irrésistiblement l'harmonium : à ce titre l'orgue de Nantua reste un must ! La panoplie des huit orgues proposés est enrichie par l'orgue classique de Sarlat, symphonique des Quinze-Vingts à Paris, et contemporain de Claye-Souilly.

L'orgue de Boëly à Paris attend toujours une grande restauration et ne figure hélas pas de manière sonore dans cette intégrale, même s'il est le grand inspirateur de Boëly. L'avenir sans doute nous le rendra, car l'essentiel y est encore présent. L'orgue de Saint Gervais à Paris a également marqué notre auteur, qui l'avait longuement fréquenté, dans le souvenir des Couperin. Alors, pourquoi réduire cette époque à quelque chose de transitoire et qui n'a rien apporté de génial ? Mais si ! Et pourquoi dit-on toujours aussi de Buxtehude qu'il est un précurseur, alors qu'il est un génie à part entière ? Il y a bel et bien une musique entre Couperin et Franck, ce coffret en est la plus belle démonstration. Après quelques disques isolés légendaires consacrés à cet auteur (Jean Boyer à Saint Nicolas des Champs à Paris chez Stil, Daniel Roth à Saint-Merry à Paris chez Emi, ou François Menissier à Dole chez Tempéraments), la discographie s'enrichit ici d'une pierre d'angle indispensable. Les orgues sont captés dans toute leur plénitude, dans une grande vérité sonore, ce qui peaufine encore ce coffret. Bravo à l'éditeur Bayard Musique pour ce courageux challenge fort réussi, et qui mérite l'admiration et les remerciements de tous les mélomanes. Boëly fût aussi pianiste, et Jacqueline Robin pour Arion en a signé une magnifique anthologie pour le piano qui ressort en cette année anniversaire.

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