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The fly : mouché, coulé

Non, vous n'aurez pas droit aux impeccables brushings de et , les acteurs principaux du film La mouche de . Pour cette adaptation lyrique le grand cinéaste canadien a décidé de revenir aux sources de la nouvelle d'origine signée , non sans enlever sa propre contribution à l'histoire dans le film de 1986.

L'action se passe donc dans les années 50 (et non dans les années 80), le personnage de Veronica conte l'histoire sous forme de flashbacks successifs, devenant ainsi le protagoniste principal et central. Cronenberg a gardé de son film la transformation progressive de Brundle en mouche ainsi que les statuts sociaux et sentimentaux des héros.

Aficionados du grand écran s'abstenir : point d'effets spéciaux sur scène. Vous ne verrez pas « Brundlefly » vomir sur Stathis pour le digérer, ni Seth au début de sa transformation marcher au plafond, perdre ses ongles, etc. La scène du bras de fer est bien gardée, avec la fracture ouverte et l'os qui dépasse (Cronenberg a fait des études de médecine avant de passer au cinéma, ne l'oublions pas) mais sur scène ça vire au grand guignol et à l'humour involontaire. Certes, le cinéaste a toujours émaillé ses films de passages « décalés » (souvenez vous des machines à écrire en train de forniquer dans Naked lunch), toutefois on se demande si les rires du public ont été provoqués volontairement… « Call me now Brundlefly » devant une assemblée habituée à l'opéra rappelle de manière trop évidente à un antécédent puccinien… Toutefois nous réserve du grand spectacle. L'acte I traîne en longueur, mais l'acte II gagne en intensité. La direction d'acteurs est comme il se doit avec un tel personnage, impeccable. Alors, d'où vient ce sentiment de temps perdu, cet agacement, cette insatisfaction qui a provoqué quelques huées et surtout un départ précipité du public après le baisser de rideau ?

Le directeur du Châtelet, qui souhaite renouveler le genre lyrique avec ce genre de spectacle (n'oublions pas les expériences précédentes de Monkey, journey to the West, le projet inabouti Bintou Wéré et pour la prochaine saison Edward aux mains d'argent et Pastorale), a oublié qu'à l'opéra, le premier élément, c'est la musique. Espérait-il un coup d'éclat en confiant la partition au compositeur (qui a lui-même écrit la bande-son du film La mouche et de nombre autres films de Cronenberg) ? Une chose est sûre, la BOF est bien meilleure que cette resucée post-romantique, sorte d'hybride monstrueux (comme le sujet de l'opéra) entre Wagner, Korngold, Strauss et Hindemith, surtout sans dissonances, le génie en moins. entre un ensemble et un air émaille sa partition de récitatifs monotones utilisant le médium-grave de la voix, avec toujours une section de cuivres en train de tonitruer : bon nombre de répliques deviennent ainsi inaudibles. Il n'est pas aidé par la direction lourde de , qui ne passe pas avec bonheur de la scène à la fosse. L'Orchestre Philharmonique de Radio-France ne sonne pas, les départs décalés fusent, les couleurs instrumentales restent désespérément ternes et le tout rue souvent dans les décibels (et les brancards). Toute l'urgence propre au film de Cronenberg tombe à plat, il n'y a aucune tension, tout est au premier degré. Avec un tel sujet il aurait été facile d'élargir la créativité à de nouvelles technologies, surtout dans les passages dévolus au fameux télépode, et de susciter un peu plus l'intellect du spectateur sur cette histoire cinquantenaire et pourtant très actuelle de mutation génétique.

Le plateau en revanche brille par son professionnalisme. Daniel Okulitch, malgré quelques aigus coincés, est crédible vocalement comme physiquement dans le rôle de Seth Brundle. Le timbre clair de correspond bien au caractère insolent de Stathis Borans, mais c'est sans nul doute qui rassemble le plus d'applaudissement. L'ensemble des seconds rôles est de très bonne tenue, et on ne peut que regretter que les courtes interventions chorales n'aient pas pu mieux mettre en évidence les forces engagées.

Devant l'immensité des moyens mis en œuvre et la déception finale, on ne peut que légitimement se poser des questions sur la gestion de la culture via les finances publiques… Avec cette nouvelle législature que nous connaissons depuis un an, la mission de service public des théâtres deviendrait-elle du grand spectacle avec un degré zéro de réflexion ?

Crédit photographique : © Marie-Noëlle Robert

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