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Voix intérieures de Stefano Gervasoni

S'il est aujourd'hui reconnu sur la scène internationale et nommé professeur de composition au Conservatoire National Supérieur de Paris depuis 2006, , né à Bergame garde néanmoins des attaches profondes avec son pays natal, l'Italie ; en témoigne cette heureuse collaboration avec l'ensemble milanais Mdi fondé en 2002 qui, dans cet enregistrement d'une qualité exemplaire – une seconde monographie pour ce compositeur de 46 ans – nous plonge dans les arcanes d'une pensée singulière et d'un monde sonore raffiné et poétique.

Parmi les six œuvres enregistrées dans cet album couvrant près de quinze ans de composition (1989 à 2004), les deux pièces pour soprano et ensemble, Least Bee sur des poèmes d'Emily Dickinson et Godspell sur des textes de Philip Levine réaffirment le lien très fort qui unit l'écriture du compositeur à la poésie et à la voix : la relation est ici totalement fusionnelle entre le mot qui devient sonorité pure et son aura instrumentale qui en creuse le sens. En découle une recherche toute en délicatesse sur le timbre de l'instrument toujours légèrement voilé ou altéré – poursuivi dans ses métamorphoses – pour affiner l'émotion, fragiliser la résonance parfois jusqu'au bord du silence. Cet idéal de transparence chez Gervasoni peut l'amener à désincarner la matière réduite à un spectre fantomatique rejoignant la quête intérieure et mystérieuse d'Emily Dickinson. Assumée avec un humour en filigrane, la traduction sonore des quatre poèmes de Philip Levine rend compte de la richesse d'une imagination foisonnante qui fourmille de références, le jazz par exemple dans Matin à Brooklin.

An, Animato et Antiterra – liés par le même préfixe – forment désormais un cycle dans lequel un matériau commun est redéployé selon un effectif instrumental toujours croissant à la faveur des correspondances que Gervasoni aime établir entre ses œuvres. Ce sont toujours des références poétiques – Francis Ponge, Nabokov – qui nourrissent un discours instrumental fragmenté, bruité, projetant par sursauts pulsionnels un matériau sonore comme érodé par les répétitions incessantes qui font patiner le mouvement dans une quête obstinée mais comme sapée dans son élan. Telle est la trajectoire d'Antiterra dont l'énergie première exprimée par les stridences lumineuses de la clarinette est progressivement minée de l'intérieur selon un processus de déconstruction du matériau sonore comme traversé par l'attraction du néant.

Dans Epicadenza, l'œuvre la plus récente de cet album (2004) et la plus développée, Gervasoni puise aux ressources infinies de la percussion enrichie d'un cymbalum pour ciseler ses figures éparses, fluides et légères : strate lumineuse et résonante, elle semble aspirer dans un lent processus d'émergence les sonorités lancinantes et voilées, lointaines et insaisissables du double trio (cordes et vents): un monde étrange et intérieur qui captive l'écoute, interroge et déroute tout à la fois.

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