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Shani Diluka & Josep Colom : qui dit piano, dit fortissimo !

Elne Piano Fortissimo 2008

Pour implanter le festival « Elne Piano Fortissimo » dont la troisième édition se déroulait cette année du 18 au 20 Juillet 2008, son directeur artistique Michel Peus, pianiste et professeur honoraire du CRR de Perpignan, a choisi un des hauts lieux de la Catalogne romane, la cathédrale d'Elne dont le cloître du Xe siècle est connu de tous les fins amateurs d'art. Situé sous la voûte du chœur dont l'acoustique est désormais réglée de façon idéale, un Steinway de concert accueille désormais chaque année les plus grandes personnalités du piano à raison de deux récitals par soirée, à 19h et 21h30.

Ce dimanche 20 Juillet, c'est qui débutait la soirée avec les Pièces lyriques d'Edward Grieg, une somme pianistique du maître norvégien, véritable journal intime qu'il écrira au fil de son existence. Lors des célébrations du centenaire de la mort du compositeur, a eu le privilège d'aller jouer ces « impressions nordiques » sur le piano de Grieg à Bergen avant de les enregistrer pour le label Harmonia Mundi. Autant dire qu'elle les a faites siennes et la version qu'elle en livre témoigne de cette intimité rare entre une écriture et son interprète. Le jeu de captive d'emblée par sa couleur et la plénitude sonore qu'elle va chercher dans les résonances profondes de son instrument. De l'Arietta très courte qui amorce ce « chant de l'âme » dans une mélancolie diffuse jusqu'à la valse finale qui en suspend le cours sans clore véritablement le discours, Shani Diluka aborde avec toutes les nuances de caractère ces différents « regards sur l'existence » révélant tour à tour un tempérament de feu dans la sixième pièce et un art du « cantabile » dans la dixième qu'elle fait admirablement chanter.

Les Valses poétiques d' qu'elle jouait ensuite regardent davantage vers la tradition romantique, celle de Schumann, Brahms et Strauss plus que vers le « mélo » populaire espagnol même si la cadence andalouse vient parfois colorer les fins de phrase. Avec une chaleur et une sensualité toutes méditerranéennes qui habitent cette jeune interprète monégasque, Shani Diluka fait vivre les contrastes de ces danses alliant l'élan fougueux à l'épure sonore la plus délicate. La dernière touche de ces « atmosphères pittoresques » était résolument andalouse avec une transcription partielle de l'opéra de La vida breve, une pièce très enlevée pour cette fin de récital, dont elle fait jaillir l'éclat lumineux et le ressort rythmique avec un enthousiasme très communicatif.

Le climat était tout autre, plus intérieur et plus austère, à 21heures 30 avec , un pianiste catalan menant sur la scène espagnole et internationale une carrière de soliste et de chambriste. Il avait mis à son programme deux Sonates de Beethoven, deux joyaux du répertoire pianistique – choisis dans la première et la dernière période de composition du maître de Bonn – que sont l'opus 10 n°3 en ré majeur et l'opus 109 en mi majeur. Visiblement tendu dans les premières minutes de son récital, va progressivement nous introduire dans les arcanes de la pensée beethovénienne avec le Largo e mesto du mouvement lent de la première œuvre, une admirable échappée d'inspiration métaphysique qui annonce déjà les pages du dernier Beethoven. On note chez la volonté d'accuser les contrastes – sol y sombra diraient les espagnols !- dans le Menuetto et l'Allegro final dont il souligne la véhémence et le caractère tourmenté.

Appartenant à la trilogie des dernières sonates, l'opus 109 en trois mouvements écrit en 1820 transcende totalement la forme classique pour mieux épouser les détours de la pensée du compositeur : un monde qui semble parfaitement convenir à cet interprète dont la sensibilité et l'inquiétude affleurent, parvenant à créer, dans le premier mouvement, ce climat de poésie indicible suggéré par le premier thème. Après la fulgurance du Prestissimo emprunt d'une rare vigueur sous les doigts de l'interprète, Josep Colom retrace, quasi una fantasia, ce voyage introspectif mené par les six variations du mouvement final entretenant une tension de l'écoute qui ne se relâchera pas.

En deuxième partie de programme, les 24 Préludes de Chopin, jaillissant avec beaucoup de spontanéité sous ses doigts, ouvrent un espace de liberté tout en rejoignant les couches profondes de l'expression. Josep Colom exalte l'art des contrastes, juxtaposant des textures fluides, quasi aquatiques – le troisième prélude – à une implacable violence du geste – l'obsessionnel prélude dit « à la goutte d'eau » – : un univers dont il semble partager les moindres vibrations énergétiques, un monde intérieur, passionné et tourmenté à l'image de cet interprète singulier.

Crédit photographique : DR

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